SOCIÉTÉ
BIBLIOPHILES NORMANDS.
N°
M. OURSEL.
LE
REGRET D'HONNEUR FÉMININ
Poème français
SUR LA MORT DE LA COMTESSE DE CHATEAUBRIAiXD,
(^€^
François SAGON^
rrêtre rouennais du xvi* siècle,
Publié, pour la première fois, d'après le manuscrit original
avec une Introduction et des Notes,
PAR
F. BOUQUET.
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— BIBLIOTHÈQUES *
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AVERTISSEMENT.
La copie i'ai le d'après le manuscrit de ce poème, et qui a servi
à notre publication, est le legs d'un ami et d'an regrettable
confrère. En 1878, M. de Bouis l'adressait au Bureau de la
Société des Bibliophiles normands, pour voir s'il lui paraissait
digne de l'impression. Confié à nos soins, le rapport fut favo-
rable, et les conclusions adopiées par l'Assemblée générale, qui,
dans sa séance du 9 mai 187S, chargea M. de Bonis du soin
d'éditer ce manuscrit. Mais sa mort, arrivée le 2 novembre sui-
vant, vint fatalement arrêter le projet caressé par lui, depuis
longtemps, de prendre ainsi part à nos publications.
Le vote de la Société courait donc risque de rester lettre
morte, quand, sur les instances de nos confrères, nous consen-
limes à mettre à exécution la dernière pensée d'un ami.
Pour diminuer le péril d'une publication que nous n'avions ni
projetée ni mûrie, un autre de nos confi-ères, non moins dévoué
It AVERTISSEMENT.
aux inléi'Éts de notre Société que M. de Bouis, cl que la mort
nous a également ravi, M. le docteur Laloy, voulut bien nous
venir en aide, en révisant la transcription faite par l'éditeur pri-
mitivement désigné. Cette lâche, M. Laloy l'a remplie avec le
soin le plus scrupuleux, ne nous laissant guère qu'à constater
l'état du manuscrit original et à rétablir deux ou trois vers.
Pour cette dernière révision, l'obligeance de M. Léopold Delisle
nous a fourni, comme pour d'autres renseignements encore,
toutes les facilités désirables, à la Bibliothèque nationale. Notre
premier devoir est donc de l'en remercier.
Le manuscrit du poème de Sagon se trouve h la Bibliothèque
nationale, département des manuscrits, sous le numéro 2,373 du
fonds français. Il a pour titre : Le Regret d'honneur foeminin
ET DES TROYS GRACES, SUR LE TRESPAS DE NOBLE DAME FrANCOYSE DE
FoiXj DAME DE ChASTEAUBRIANT, ET MIROUER DE NOBLESSE FOEMI-
NiNE. Par Françoys de Sagon, secrétaire de Vahhe de Sainct-
Eburoul. Il fait partie du fonds de Gange, acquis, en 1733, par la
Bibliothèque royale, comme l'atteste le verso du premier
feuillet, en tête duquel on lit : « Inscrit, J. P. G-, Châtre de
Cangé », avec paraphe.
Ce manuscrit est un in-octavo relié en veau plein, composé
de seize feuillets en beau vélin blanc, réglés à l'encre rouge et
non foiiotés. Le recto du premier feuillet est resté en blanc, et
tous les quinze autres feuillets sont écrits au recto et au verso,
sauf le quinzième et dernier, qui n'est écrit que sur le recto, de
sorte qu'il a en tout vingt-huit pages. Le dos porte en titre ces-
AVERTISSEMENT. III
mots tronqués, faute de place : Regre. . . du... tuepa. . . de. . .
Fr... de Foi. Si la reliure est postérieure au \\f siècle,
l'écriture en lettres moulées, remarquablement nettes et belles,
est bien certainement du temps de Sagon. C'est un manusci'it
très soigné et presque de luxe dans tous ses détails.
Bien qu'inédit, le manuscrit de Sagon n'était pas complètement
inconnu. Avant la transcription de M. de Bouis, le relevé biblio-
graphique de Ferret de Fontette, pour la seconde édition de la
Bibliothèque historique de la France, par le P. Lelong, men-
tionne, vers 1768, sous le n" 48,042 : Le Regret d'honneur
féminin et des Trois Grâces sur le trépas de dame Françoise
de Foix, dame de Château B riant. François Sagon est désigné
comme en étant l'auteur. En 1865, 31. de Lescure a parlé deux
lois de ce poème, dans l'ouvrage intitulé : Les Amours de
François P', où la comtesse de Chateaubriand * occupe une
grande place, avec un titre bien fait pour piquer la curiosité :
La Maîtresse tragique. On y voit le résumé des qualités attri-
buées par Sagon à Françoise de Foix, l'indication incomplète du
titre de son poème et un jugement bien sommaire sur cette
œuvre et son auteur (Chapitre III, pages 157, 201 et 202). Enfin
' Nous écrivons ainsi ce nom, à l'exemple de l'auteur du Génie du
Christianisme; mais telle n'était pas l'orthographe adoptée, au
xvio siècle, dans notre manuscrit ni ailleurs. On trouve Chasteau-
Ilriant, Chasteaubrianl et Châteaubrillant, ou bien Cliâleauhrilland et
ChaleaubrillaJid.'Da.nsle Dictionnaire des Communes, on lit Châleau-
hriant ;d'un seul mot) pour la ville de Bretagne,- orthographe qi:o
n'a pas conservée le plus illustre membre de cette famille.
ÏV AVERTISSEMENT.
M. Théodore Lebreton, dans sa Biographie rouennaise, en 1865
également, cite, parmi les poésies de Sagon : « Le regret d'Hon-
neur féminin et des Trois Grâces, sur le trépas de dame Fran-
çoise de Foix, etc. (resté à l'état de manuscrit). » (Page 331.)
M. de Bonis n'a donc pas fait le premier la découverte du
manuscrit qu'il a copié, et nous devons dire qu'il ne préten-
dait pas à cette bonne fortune pour un Bibliophile.
L'orthographe, l'accentuation et la ponctuation du manuscrit
original ont été scrupuleusement respectées i . Sans doute, ce
sont là des points bien secondaires, aux yeux de beaucoup de
personnes. Il n'en est pas de même aux nôtres pour les motifs
que voici. Puisque nous avons l'heureuse chance de posséder un
manuscrit de la première moitié du XVI« siècle, il était bon
d'en profiter pour constater, dans toute sa vérité, le système .
suivi par notre auteur sur ces trois points, trop souvent sacrifiés
dans les éditions des œuvres de ceite époque, où imprimeurs et
éditeui's se sont permis de grandes libertés, dont la moindre était
de défigurer le style des auteurs en le rajeunissant.
Le manuscrit de Sagon atteste, au point de vue de l'ortho-
graphe, l'influence contemporaine. L'orthographe ancienne n'ai-
niaii pas l'accumulation des consonnes ; c'est le xvi* siècle qui,
par une recherche pédantesque de l'étymologie, en a chargé
l'écriture, et notre auteur, visant à la réputation de savant, s'est
' Il n'y a que la disposition, avec ie même nombre de versa la page,
recto et verpo, qu'il a été impossible de conserver.
■AVERTISSEMENT. V
bien gardé de ne pas suivre cesystijme, où l'on taisait montre
(le science, et même de l'exagérer. Son manuscrit donne donc :
Estait, eslyte, deubst, haultz, ung^ resconforter, aose, balsme,
cœleste, peult, veult, esguille, escript, bening, maling, re-
monstre, etc., etc. Sans raison aucune, il applique même eu
système aux voyelles, puisqu'il écrit : Fœminin, pœuple, etc.
Il est vrai de dire qu'il ne reste pas toujours ildèle à son propre
système, et qu'à quelques lignes de distance le même mot se lit
parfois écrit d'une façon différente. L'emploi des grandes lettres
n'a rien de fixe ni de judicieux non plus ; tantôt il les met,
tantôt il les supprime, dans le même nom, sans motif apparent.
Il en est de même de l'accentuation. En imprimant ce vieux
texte, nous n'avons point placé l sur les e les accents qui
t'ont défaut sur le manuscrit. C'est une méthode erronée que d'y
introduire ceux qu'on y met de nos jours ; car peut-on répondre
que ces e se prononçaient, au xvi* siècle, comme aujourd'hui ?
Est-ce que, depuis le commencement du nôtre, la prononciation
n'a pas changé ? La dernière édition du Dictionnaire de l'Aca-
démie est là pour démontrer ces variations de la prononciation,
marquées par le changement d'accent sur plusieurs mots entre
1835 et 1878. Les mots a, verbe ou préposition, ou, adverbe ou
conjonction, Sagon les écrit aussi sans accents, à quelques rares
exceptions que nous avons respectées. Chez lui encore l'apos-
trophe, marquant l'élision d'une voyelle, est mise ou .supprimée,
dans le môme mot, à quelques vers d'intervalle.
Ua ponctuation étant moins définitivement arrêtée que l'ac-
VI AVERTISSEMENT. '
centuation, à cette époque, offre de plus grandes divergences,
en la comparant avec celle de notre temps. On les rcnconnaîlra,
sans qu'il soit besoin de les signaler, à l'exception de deux que
voici. Gomme dans certaines éditions gothiques des premières
années du xvi° siècle, un petit trait oblique, dans le sens de
récriture^ remplace trois ou quatre fois la virgule pour séparer
les mots I . Mais une habitude que nous croyons propre à Sagon
est de placer un point d'interrogation à la fin des phrases où
figure le mot si, surtout quand il est conjonction, et que l'auteur
y attache l'idée d'une condition ou d'un doute.
iSous en prévenons ici , afin que ces dissemblances entre
l'usage ancien et l'usage présent, qui sauteront aux yeux, ne
soient pas prises pour des fautes, ou môme do simples négli-
gences de la part de l'éditeur.
Pour l'orthographe, et surtout pour l'accentuation et la ponc-
tuation, le manuscrit annonce un âge de transition, et l'on voit
l'jien qu'Etienne Dolet n'avait pas encore donné ses deux petits
Traités : De la Pvnctvation de la Langue francoyse, et des Ac-
cents d'ycelle. (Lyon, 1540, une plaquette in-4o). De plus, Sagon
suivait un système d'orthographe qui sera combattu par Louis
Meigret, dans son Traité touchant le commun usage de l'écri-
ture francoyse ; auquel est débattu des faultes et abus en la
rraye et ancienne piiissance des Lettres. Paris, Jean de Marnef,
1545. Le texte de Sagon lui aurait bien servi à prouvei* que :
' L'absence de ce signe typographique la fait remplacer par une
virgule. C'est la seule modification introduite dans la ponctuation:
AVERTISSEMENT. VII
a Notre orthographe, pour la confusion et abus des Letti'cs, ne
quadre point entièrement à sa prononciation. » Contrairement
à l'école toute puissante des érudits, Meigret annonce qu'il a
travaillé pour « le commun peuple. » Sagon, au contraire, écri-
vait pour les érudits, dont il suivait scrupuleusement les doc-
trines, en orthographe, et sur bien d'autre.s points.
Ce n'est donc pas par une recherche puérile d'archaïsme que
nous avons respecté scrupuleusement l'oi-thographe, l'accentua-
tion et la ponctuation de notre manuscrit, ni par un engoùment
du passé auquel on accuse bien souvent les bibliophiles de sacri-
fier. Mais c'est qu'ici la reproduction fidèle de ce texte a une
valeur linguistique incontestable, puisqu'elle permet au lecteur
de constater et de juger les procédés de rédaction suivis par
un auteur du xvi= siècle, qui n'était pas sans mérite.
On pourra donc apprécier, en prenant notre texte comme point
de départ, le nombre et l'étendue des variations que la langue a
subies sous le triple rapport qui vient d'être signalé.
En examinant le texte de ce poème vers par vers, et mot par
mot, nous avons été amené à faire plus d'une centaine de notes,
tant historiques que linguistiques et philologiques. Il a fallu
d'abord fournir quelques détails sur les personnes et sur les évé-
nements rappelés directement ou par voie d'allusion, et il n'a
pas paru moins utile d'expliquer les phrases obscures, les tour-
nures tombées en désuétude, les mots vieillis ou pris dans une
acception qui ne se comprend plus qu'à Taide du latin.
Cette méthode était, selon nous, préférable à celle qui se serait
VIII AVERTISSEMENT.
bornée à la simple publication du texte, laissant à chacun le
soin (le l'interpréter comme il l'entendrait. L'autre eiit été plus
facile pour l'éditeur, mais elle aurait laissé, le plus souvent,
le texte à l'état d'énigme ou tout au moins de lettre à moitié
close. Mieux valait, à l'aide de notes nombreuses, tenter l'expli-
cation de tout ce que peut souhaiter un lecteur sérieux, avide
d'informations, qui veut tout connaître et tout comprendre dans
un texte vieilli. Mais quand, au milieu de ce labyrinthe de diffi-
cultés de toute nature, nous avons rencontré des passages où
nos recherches ne nous avaient fourni aucune lumière ou bien
une lumière douteuse, nous avons mieux aimé nous abstenir
ou poser modestement un point d'interrogation, que de nous
lancer à l'infini dans le champ toujours si vaste et si commode
des hypothèses, ou d'affirmations dénuées de preuves.
Il en a été de même dans l'Introduction. Au résumé de sa trop
courte biographie s'ajoutent, surtout au point de vue littéraire,
les détails fournis par le poème et par nos découvertes person-
nelles. Puis, vient l'analyse de cet éloge funèbre, suivie d'un
jugement sur sa valeur historique et littéraire, après lequel nous
donnons la Bibliographie des œuvres de Sagon. Loin d'imiter
ceux qui trouvent tout irréprochable et veulent tout excuser chez
l'auteur qu'ils éditent, nous nous sommes efforcé de rester équi-
table, en mettant autant de soin à chercher les défauts du nôtre
et à les signaler, qu'à montrer l'utilité de la publication de son
poème, tant pour l'histoire que pour la littérature de la Renais-
sance. •
AVERTISSEMENT. IX
Sans doute, l'apliorisme poétique de Térentianus Maurus sera
toujours vrai :
Pro captu lectoris habcnt sua fata libelli.
De Sillabis. Carmen heroicum, v. 258.
Mais, si la destinée d'un livre dépend de l'intelligence du
lecteur, il faut reconnaître aussi que le soin de l'éditeur n'y est pas
non plus étranger. C'est donc un devoir pour lui, surtout quand
le texte a des difficultés réelles, de venir en aide au lecteur, en
ne négligeant rien de ce qui lui paraît propre à mettre son auteur
en pleine lumière. Sans cela, il s'exposerait à grossir le nombre
de ces publications qui ne peuvent servir qu'à ceux qui vou-
dront les refaire.
Tels sont les motifs des développements donnés à l'Introduc-
tion et aux Notes de ce petit poème inédit, qui renferme des
obscurités de plus d'un genre, à côté de certains mérites histo-
riques et littéraires.
INTRODUCTION.
BIOGRAPHIE DE SAGON.
Bien que le nom de Sagon ne figure pas dans la Bio-
graphie universelle de Didot, moins complète en cela que
celle de Michaud, ce poète du xvi' siècle n'a pas laissé
d'avoir une certaine notoriété parmi ses contemporains,
La preuve en est que La Croix du Maine, dès 1584, lui
consacrait un article dans sa Bibliothèque françoise, où se
trouvent, en très petit nombre, il est vrai, des détails
biographiques et bibliographiques, répétés par tous les
écrivains qui se sont occupés de Sagon, avec quelques
additions dont la plupart sont des erreurs. Profitant des
uns et rectifiant les autres, nous allons essayer, avant
d'étudier le Begret d'honneur féminin, de donner une bio-
1
3 INTRODUCTION.
graphie de notre auteur un peu plus détaillée, sur quel-
ques points, à l'aide des nouveaux documents que nous
avons pu rencontrer.
Il y a des obscurités et des divergences sur bien des
points, à commencer par l'orthographe de son nom.
Ainsi, les uns l'appellent simplement François Sagon, et
les autres, François de Sagon. Les Registres de l'arche-
vêché de Rouen portent toujours, jusqu'à six fois. François
Sagon, aussi bien que La Croix du Maine et Antoine du
Verdier (1585), qui ont tant contribué à sauver son nom
d'un complet oubli, tandis que les imprimeurs contem-
porains se partagent sur le de, que nous retrouvons en tête
de notre manuscrit et dans un acte du Tabellionnage de
Rouen. Malgré cela, pour nous conformer à l'usage le
plus général, nous lui supprimerons la particule.
Un point incontestable, c'est que François Sagon est
né à Rouen. Mais à quelle date? Ses premiers biographes,
lia Croix du Maine, Du Verdier, Tabbê Goujet n'en ont
rien dit. Depuis, la Biographie Michaud et M. Viollet-le-
Duc ont placé sa naissance « au commencement du xvi*
siècle, » ou bien « vers la fin du xv« siècle. » (M. Th.
hehveion, Biogi'apfiie rouefmaise, /p. 331.) Cette dernière
indication doit être plus voisine de la vérité, puisque,
dans la fameuse querelle de Sagon et de Marot, qui éclata
en 1536, le valet Fripelippes, ou plutôt Marot lui-même,
dit de Sagon, son adversaire :
INTRODUCTION. à
L'vn est un vieux resveur Normand' .
L'abbé des Gonards également, quelque Rouennais
qui connaissait bien notre auteur, prend texte de l'âge
de Sagon et de la Hueterie, son second dans cette lutte,
pour leur conseiller la modération.
Je ne dy pas que beu/:^
Vous deux soye:{, mais pour ce que tous deux
Venez sur laage, et en vous escornant
Vous nyre:{ plus de vo;{ cornes cornant
Et en sere\ plus conard^ que corîiu^ '.
Ce n'est pas d'un homme, qui n'aurait guère dépassé
la trentaine , s'il était né « au commencement du
XVI» siècle, qu'on aurait pu dire « qu'il était vieux, » ou
bien « qu'il venait sur l'âge, » Il est donc plus vraisem-
blable que Sagon naquit à la fin du xv^ siècle plutôt qu'au
début du XVI*.
Nous ne trouvons rien ni sur l'enfance ni sur les
premières années de notre auteur. Mais il est certain
qu'après avoir reçu les ordres il fut attaché au diocèse de
Rouen, comme le prouve le « Compte et Estât de Mathurin
» ŒcvRES DE Marot, Epitre de Fripelippes valet de Marot, à Sagon.
Edition de Niort, 1596, p. 235.
* Les Trêves de Marot el Sagon, etc., réimpression Panckoucke, p. 7.
4 INTRODUCTION.
Sedille, trésorier de Mg"" Georges d'Amboise, archevêque
de Rouen, de recepte, mise et despence par luy faictes, à
cause dudit office . » Ce compte allait, pour chaque année,
« du jour de la fête de Saint-Michel au jour de la sem-
blable fête de Tannée suivante. » Voici la mention qu'on
y trouve :
« Compte de 1529-1530 — A M" François Sagon, pour le
sermon du Synode d'été 100 sous. »
Ce sermon du Synode d'été, le senne, comme on disait
alors, s'adressait au clergé, Ad clerum, d'après la mention
des registres, et « 100 sous » étaient habituellement attri-
bués à l'orateur désigné par le choix de l'archevêque lui-
même. Il prenait i'un des jeunes prêtres les plus capables
de son clergé, tant le sujet lui-même et l'emploi obligé de
la langue latine devaient offrir de difficultés à l'orateur.
Nous voyons donc, dans le choix de Sagon par l'arche-
vêque de Rouen, Georges II d'Amboise, une forte pré-
somption en faveur de sa science théologique et de son
talent oratoire, loin d'en croire Fripelippes, qui songeait
peut-être à ces sermons Ad clerum, quand il parle de ce
Vieux resveur Normand
Si goulu, friant et gourmand
De la peau du povre Latin,
Qu'il l'escorche comme vn mastin'.
' Œuvres de Marot. Epitre de Fripelippes, même édition, p. 235.
INTRODUCTION. 5
Dans cette assertion, lancée au milieu des ardeurs de
la lutte, la passion tient certainement plus de place que
la vérité. L'archevêquen'aurait jamais choisi un orateur
qui eût apprêté à rire à son docte auditoire, s'il eût
« escorché ce povre latin, » comme le prétend Fripe-
lippes, c'est-à-dire Marot lui-même, juge d'ailleurs fort
récusable en fait de latinité.
Cinq fois encore, en cinq années différentes, les mômes
registres de l'Archevêché redonnent le nom de Sagon,
mais, malheureusement, sans aucune indication de mo-
tifs pour justifier le paiement des sommes mentionnées.
« 15351536 — A François Sagon, 20 livres.
1538-1539 — A François Sagon, 10 livres.
1540-1541 — A François Sagon, 10 livres.
1541-1542 — A François Sagon, 10 livres.
1544-1545 — A François Sagon, 100 sousV »
Le retour périodique de ces sommes, presque toujours
les mêmes, donne à penser qu'il s'agit ou d'une rente ou
d'une gratification pour des services rendus par Sagon,
quand il eut quitté le diocèse de Rouen.
Peu de temps après avoir prêché le sermon du Synode
d'été devant le clergé de Rouen (1530), Sagon attirait sur
• Indications dues à l'obligeance de M. Ch. de Beaurepaire. — Voir
son Inventaire des Archives delà Seine-Inférieure , série C. — Arche-
vêché de Rouen. — Articles 231, 121, 124, 128, 130, 133.
6 INTRODUCTION.
lui l'attention de ses compatriotes d'une autre manière.
L'antique Confrérie de l'Immaculée Conception, qui
comptait déjà quatre cents ans d'existence, ajoutant un
caractère littéraire à son caractère religieux, avait établi,
en i486, sous le nom de Puy de l'Immaculée Conception
ou de Puy du Palinod, des prix pour ceux qui voudraient
composer des pièces de poésie en l'honneur de l'Imma-
culée Conception. La jeunesse lettrée de Rouen et de la
Normandie se fit alors, et jusqu'aux derniers jours de
l'existence de l'Académie des Palinods, un devoir de
disputer les palmes qu'elle accordait. C'était, pour les
jeunes talents, un moyen de se faire avantageusement
connaître de leurs compatriotes.
L'un des premiers Sagon s'y présenta, au moins quatre
fois, de 1531 à 1535. L'indication de celles de ses poésies
couronnées au Puy de Rouen est fournie par un petit
volume d'une grande rareté, contenant d^ux ouvrages de
lui, sous les deux titres suivants : Le Triumphe de grâce et
prerogatiuc d'innocence oiiginelle, sur la conception et trespas
de la Vierge esleue mère de Dieu, composé par Sagon, et, à la
suite, un Recveil moral d'avcuns Chants Royaux, Balades et
Rondeaulx, de Sagon, présentez et premier a Rouen, a Dieppe
et a Caen^Par luy adressé a Vénérable religieux^ Domp Richard
Ango, prieur de Beaumot en Auge son oncle. L'impression
est de 1544'.
' Voir plus loia la Bibliographie des oeuvres de Sagon.
INTRODUCTION. 7
C'est là que se trouvent les pièces suivantes, dont nous
relevons les titres, dans l'ordre où elles y sont imprimées,
et qui montrent en Sagon un brillant lauréat des Palinods
de Rouen et de la Normandie.
« Chant royal qui triumpha de la palme au puy, tenu
à Rouen, 1531.
« Chant royal, Caen, 1532.
« Chant royal qui remporta à Dieppe le prix de la
Couronne. (Pas de date.)
« Balade qui remporta le prix de la Rose a Rouen
l'an 1535.
« Balade, prononcée par l'auteur rendant grâce au puy
des palinodz de Rouen, où il auoit eu le pris de la palme,
l'an précèdent, et la rendoit comme il est de coutume'.
« Rondeau premie du pris de l'anneau ou signet à
Rouen 1533. »
Sagon débutait sur le mème'théâtre qu'une foule d'au-
tres jeunes Normands de son époque. Tasserie y avait
été couronné sept fois ; Jean Parmentier, de Dieppe, trois-
fois, de 1517 à 1528; et Jacques Le Lieur, de Rouen,
deux fois, de 1518 à 1522. Sagon le fut trois fois, à
Rouen, d'après les indications ci-dessus, et quatre fois,
comme on le verra plus loin, au dire de Sagon lui-même.
' o Les signes des prix étaienl remis aux lauréats, puis échangés,
dans les premiers temps, contre de l'argent. » M. Bailin, Notice histo-
rique sur l'Académie des Palinods {de Rouen), p. 38.
8 INTRODUCTION.
A son début dans la carrière poétique, Sagon n'hésita
pas à consulter Marot sur un Chant royal destiné aux
Palinods de Rouen, et celui-ci s'empressa de se rendre
à son désir, comme il nous l'apprend, sous le couvert de
l'indiscret valet Fripelippes. Son maître lui fait dire, en
s'adressant à Sagon :
Vrajrment il me vient souvenir
Qu'vn jour vers liiy te vjy venir
Pour vn chant Royal luy monstrer,
Et le prias de l'accoustrer.
Car il ne valloit pas vn œuf.
Quand il l'eust refait tout de neuf,
A Rouan gaignas (povre homme! j
D'argent quelque petite somme.
Qui bien à propos te survint.
Pour la V , qui te vint.
En ce cas, Marot aurait contribué à procurer à Sagon
une victoire qu'il n'avait pu, dix ans auparavant, obtenir
pour lui-même, quand, en 1521, il était entré en lice
avec son père, aux Palinods de Piouen. Jehan Marot fut
couronné pour un Chant royal dont le refrain est :
Lhumanite ioincte a diuinite'.
' Notice Imlorique sur l'Académie des Palinods, par M. A. -G. Ballin,
pages 48-51.
INTRODUCTION. U
Mais Clément n'obtint pas le prix pour le Chant royal
qu'il avait également présenté, avec ce refrain :
La digne Couche, ou le Roy reposa.
Ce serait donc en 1531 que Marot aurait corrigé le
Chant royal composé par son futur adversaire, en l'ai-
dant ainsi à obtenir le prix de la Palme, rachetable par
par cent sous tournois. Le vers palinodique, faisant allu-
sion à la Vierge, est :
La perle ronde, orientale et fine.
L'autre Chant royal, prémié (récompensé) à Rouen,
deux ou trois ans plus tard, bâtelé partout, est trop entor-
tillé et trop peu intelligible pour que Marot l'ait jamais
corrigé'.
Cependant le reproche adressé à Sagon de s'être fait
aider par Marot dans la confection du Chant royal cou-
ronné aux Palinods de Rouen, fut vivement relevé dans
le : Rabais du caquet de Fripelippes et de Marot dict Rat
pelle. Faict par Matthieu de Boutigni, paige de Françoys de
Sagon, secrétaire de l'abbé de SainctEbvroult. Matthiei: de
Boutigni n'est pas plus le page de Sagon que Fripelippes
' Voir, pour plus de détails, la Deuxième suite à la Notice histo-
tique sur L'Académie des Palinods, par M. A. -G. Ballin, pages 14 et 15.
3
10 INTRODUCTION.
n'est celui de Marot. C'est Sagon lui-même qui repousse
le reproche de tout concours prêté par Marot, et son
démenti catégorique passe par dessus la tête du pseudo-
valet pour frapper le maître en pleine face.
* Et tu vas dire, homme rude et champestre
Que par moyen de ton ignorant maistre
Le mien gagna la Palme de Rouen.
Va savetier chercher du cordouen,
Pour bobliner tes souliers ou pantoufles
Et ne te joue à mon maistre sans moufles
Rouen a veu triumpher ce François
Sur son théâtre, et Marot nulle fois,
Et si y fut avec sa muse vaine,
Mais il perdit et son temps et sa peine,
Veu que jamais n'y gaigna un seul prix,
Où, pour sallaire et bruict des bons espri^,
Sagon a eu Palme, Lys, Signet, Rose,
Avec la grâce en iceulx prix enclose^.
La Palme est pour le Chant Royal de 1531, et c'est là
que Marot avait échoué pour un Chant royal.
Le Lys, le quatrième prix, dont nous n'avions pu trou-
ver la trace, était accordé au Chant Royal ou Débattu.
Quant au dernier vers :
Avec la grâce en iceulx prix enclose,
' Œuvres de Marot, édit. de Lenglet du Fresnoy. — Recueil des
Pièces du Différend, etc. T. IV, p. 457.
INTRODUCTION. 11
« La grâce » indique peut-être ici plutôt l'argent que
l'honneur ; car, ainsi qu'on l'a vu, « dans les premiers
temps, ces prix remis aux lauréats étaient échangés
contre de l'argent i . »
Voici, d'après les anciens statuts, la désignation et la
valeur des prix obtenus par Sagon :
• Chant Royal, la Palme, rachetable par cent sous
tournois ;
« Chant Royal ou Débattu, le Lys, rachetable par
soixante sous tournois ;
« Ballade française, la Rose, rachetable par trente-
cinq sous tournois ;
« Rondeau, le Signet d'or, ou affi;|uet, rachstable par
vingt cinq sous tournois '.
En voyant Marot roprochor à Sagon la « quoique pe-
tite somme d'argent » qu'il a giigiia aux Palinods de
Rouen », et Sagon lui-même insister sur la « grâce en
iceulx prix enclose », c'est-à dire l'argent donné en
échange du signe attaché à chaque prix, il nous semble
que Sagon fut un poète besogneux, cherchant à grossir
' Voir, plus haut, la note de la page 7.
* M. Ballin, Notice historique sur l'Académie des PaUnods, pages
38-39.
\2 INTRODUCTION.
ainsi ses modestes moyens d'existence , en attendant
qu'il eût trouvé un Mécène, comme la mode commençait
à s'en établir.
Nulle part il n'a avoué, par fierté sans doute, ses be-
soins d'argent; mais l'humilité le porta à se faire sur-
nommer « l'Indigent de sapience », bien que né dans un
pays qui passait pour en être largement doté. Nous ré-
pétons ce fait, après plusieurs biographes, sans avoir
encore rencontré le texte qui le justifie.
La date de 1.535, celle de son dernier prix pour une
Ballade, le prix de la Rose, nous paraît marquer l'une des
dernières années où il fut régulièrement attaché au dio-
cèse de Rouen. Il passa bientôt dans celui de Lisieux. En
tète de son Coup d'Essay, qui est de 1 536, il prend,le titre
de « Secrétaire de l'abbé de Sainct Eburoul ». Cet abbé,
Félix P"" de Brie, de la maison des seigneurs de Serrant
en Anjou, avait obtenu du pape Jules U, le 11 décembre
1503, la commande de la belle et riche abbaye de Saint-
Evroult^ (Orne, arr. d'Argentan, cant. de la Ferté-Fres-
nel). Sagon restera jusqu'à la fin de se.^ jours le
secrétaire de ce protecteur, et en gardera le titre dans ses
divers ouvrages, sans jamais y joindre ou lui substituer
celui des cures dont il fut pourvu.
C'est pendant qu'il exerçait les fonctions de secrétaire
' Gallia Chrîsliana, t. XI, p. 828.
INTRODUCTION. 13
auprès de l'abbé de Saint-Evroult, qu'éclata la querelle
à laquelle Sagon doit d'avoir échappé à un plus complet
oubli. Mais l'inimitié des deux poètes venait de plus
loin, comme le prouve le résumé de ce qu'on lit à ce su-
jet dans la petite pièce de vers ayant pour titre : Le Dif-
férend de Marot et de Sagon\
Les causes de cette lutte ont donné lieu à bien des ex-
plications diverses. Pour les uns, Sagon a visé à la célé-
brité, en cherchant querelle à un poète illustre . D'autres
ont supposé qu'il aspirait à remplacer Marot dans ses
fonctions de valet de chambre auprès de François I,
oubliant que sa qualité de prêtre ne le lui permettait pas,
et que cette imputation est formulée par Marot lui-même
contre un autre champion de cette guerre de plume. Huet
ou la Hueterie. Pour nous, la cause de la querelle est
toute religieuse, et elle naquit de Tétat des esprits en
France, après l'apparition de la Réforme, et la publica-
tion par Marot de sa traduction en vers français des
trente premiers psaumes dédiés à François I. Pendant
cette lutte, religieuse avant tout, il fut encouragé par
• Voir Pièces justificatives^ I. — La pièce de vers est citée dans les
OEuvres de Clément Marot, (par Lenglet du Fresnoy,) à la Haye, chez
P. Gosse et J. Neaulme, M.DGC.XXXI, 4 vol. in-i". — Le tome IV
donne ce titre plus complet : Recueil de pièces du différend de Clé-
ment Marot, François Sagon et la Huelerie; avec les Apologies pour
ou contre. Sur l'imprimé in-\6. Paris, 1538 et autres éditions.
14 INTRODUCTION.
l'abbé de Saint-Evroult, Félix de Brie, qui lui aurait
promis, comme récompense de son zèle, la cure de Soli-
gny. Fripelippos le dit à Sagon en termes formels, en un
passage de son Epitre, où il menace cet abbé des foudres
poétiques de son maître, très bien instruit de la conduite
de ce dernier.
Car il scait tout : et scait comment
* >
Te fit exprès commandement
De t'en aller nietire en besogne
Pour co?}:poser ton coup d'yvro72gne :
Ce que lui accordes, pour veu
Qu'en après iu serais pourveu
De la cure de Solîgny^.
Cédant donc à son ardeur religieuse^ Sagon ne craignit
pas, en 1536, d'attaquer directement Marot, alors en
exil volontaire à Ferrare, en lançant contre lui la pièce
que Fripelippes vient de qualifier si durement. Ce fut le
Corp d'essay de Francoys de Sagon, secrétaire de l'abbé de
Sainct-Eburoul, contenant la response à deux epistres de Clé-
ment Marot, relire à Ferrare. L'une adressante au Roy très
chresticn. L'autre à deux damoyselle seurs. Vêla de quoy ^ Il en
' OEuvres de Marol, même édition, p. 241.
* Pour la fin du litre Ibrt étendu, suivant l'iiabitudc des écrivains de-
cette époque, Voir la Bibliographie des œuvres de Sagon, à la fin
de Vlnltoduction.
INTRODUCTION. 15
résulta une guerre de plume des plus violentes qui dura
deux ans, de 1536 à 1538'.
Voici comment le ton et le fond de la polémique,
où Sagon fut l'agresseur, ont été jugés : « Défenseur
de la Sorbonne, prôneur de ses lumières, Sagon met
tout son talent à poursuivre ce qu'il appelle * le venin,
la pointure et les erreurs de Marot. » A l'entendre,
il n'y a pas de fauteur plus dangereux de l'hérésie.
On dirait que tout le mal vient de lui, qu'il est pire
que Luther. N'a-t-il pas outragé les vén'érables suppôts
de la justice? Il est le « porte-guydon, le guyde, le pour-
traict, l'exemple de tout le mal. » Il a « mengé en karesme
du lard.» L'honneur de François I*', sa justice exigent
qu'on punisse l'arrogant parler de ce Marot « qui a fait
tomber le peuple ignorant en faute. » Qu'importe à la
France que Marot soit exilé ? Y perd-t-elle quelque chose
de sa gloire et de son renom ? Parce qu'un fou l'appelle
ingrate, en est-elle diffamée? Qu'il redoute bien plutôt la
justice « qui va droit et d'un seul pied ne cloche, tenant
dans sa dextre sa droite espée, dont oncques ne fut per-
sonne à tort frappée, »
« Gomme si ce n'était pas assez de ses plaintes, il
' Cette querelle littéraire, eu l'oa compte plus de quarante pièces
de part et d'autre, exigerait des développemens assez étendus, avec
la réimpression des principales pièces, textes et caricatures. Nous ne
pouvons que l'esquisser ici.
16 INTRODUCTION.
appelle, pour écraser Marot, pape, cardinaux, gens
d'église, religieux, potentats, jusques aux dames, jus-
qu'aux damoiselles, pour le confondre et l'abîmer i. »
Sagon avait apostrophé grossièrement son adversaire :
O povre sot, povre beste insensée
ô povre pou éthique.
Quel ver te poingt, ou te picque le cueur.
Et autres aménités pareilles. Fripelippes lui répond
plus grossièreinent encore, comme un vrai valet, en
l'appelant, lui et ses partisans, « des jeunes veaux, de po-
vres bestes, de vieux asnes.» Leurs vers ne sont « qu'ivro-
gneries et rimasseries. » Sagon devient un « Sagouyn,
un veau, l'âne de Balaam, une chouette, un oyson, une
rane (grenouille), et même un « naveau » (navet). Ce
n'est donc pas seulement d'aujourd'hui que les vivacités
de la polémique passent successivement du règne animal
au règne végétal, pour mieux injurier un adversaire.
Toutes ces gentillesses, dont Sagon avait donné le pre-
mier l'exemple, se retrouvent dans la seule Epitre de
Fripelippes, valet de Marot, à Sagon 2 .
L'affaire fit du bruit à Rouen^ et nous en citerons pour
' Histoire de la Littéralure française depuis la Renaissance jusqu'à
la fin du XVII" siècle, par Charles Gidel, pages 80-81.
* OEuvres de Marot, édit. de Niort, 1596, pages 234-241.
INTRODUCTION. 17
preuve : VAppohgie faicte par le grant abbé des Couards sur
les inuectiues Sagon, Marot^ La Hueterie, pages, valets, brac-
quels, et cœtera. EUo fut suivie de la Respose à l'abbé des
Couards de Roven (1537;. Puis vint La première leçon des
Matines ordinaires dv grand abbe des Couards de Roven, sou-
verain monarque de l'ordre : contre la respose faicte par ung
Conard a l'apologie dvdict abbe. En 1537'.
Dans la chaleur du débat, un des « Marotins » ou
« Maroteaulx » (car l'un et l'autre se disaient) n'avait
pas hésité à enterrer le chef des « Sagontins, » tout
vivant, en lui faisant l'épitaphe que voici :
EPÏTAPHE DE FRANGOYS SAGOUIN
DIGT SAGON.
Areste toy passant par ce lien cy,
Si tu veulx voir de terribles merveilles
Icy repose un corps humain transsy.
Qui iadis eust au chef plusieurs cervelles.
Comment cela? Or ne t'en esmerveilles.
Car ce gros bueuf avait semble groing
Que le marmot, qu''on nomme Sagouyn
Puis quant le monde eust veu de son cerveau^
' Ces pièces onl eu i'Jionneur d'une magnifique réimpression,
A Paris de l'imprimerie de Panckoucke, rue des Poitevins, I4, en cio
13 cccLiv. Nouo remercions notre président, M. Lormier, de nous
l'avoir fait connaître, en nous confiant son exemplaire, sur vélin.
3
fS INTRODUCTION.
WU
veau'.
Il fut jugé que ce gentil babouin
Tenait autant de Vasne que du Vi
Les rieurs n'étaient plus, depuis longtemps, du côté
de Sagon, que son caractère de prêtre semblait devoir
éloigner du ton qu'il apporta, le premier, dans cette polé-
mique.
La seule explication plausible, c'est que, secrétaire de
l'abbé de Brie, qui paraît l'avoir poussé dans la lutte,
prêtre sans emploi, qui n'avait pas encore charge d'âmes,
obéissant d'ailleurs à ses sentiments personnels et au
désir de complaire à son maître, il se laissa facilement
entraîner au-delà d'une sage mesure dans ses attaques.
En cela, il eut grand tort ; car, s'il est une polémique infi-
niment respectable, quand elle est affaire de conscience,
il en est une autre infiniment regrettable, quand elle est
affaire de parti, parce qu'alors on oublie trop aisément
qu'un chrétien, un prêtre surtout, ne doit pas se per-
mettre des imputations injurieuses, et que la haine du
péché n'excuse jamais de grossières injures contre le
pécheur.
Le Ion de Sagon, dans cette polémique, lui fit perdre
des partisans, des amis, qui allèrent même grossir le
' Œdvres de Makot, édil. de Lenglet Dufresnoy, t. IV, p. 542, dan?
le Recueil des pièces du Différend de Clément Marot, François Sagon
et la Huelerie.
INTRODUCTION. 19
parti contraire. Une lettre qu'il adre;3sa pendant la lutte
à Jean Boucliet', procureur à Poitiers, historien et poète
;ï ses heures, nous apprend la défection d'un certain
Germain Colin Bûcher, dont notre auteur dit, avec re-
gret :
// m'a blasnié, et a jprins la défense
De son Marot, qui Dieu et monde offense.
Pour le remplacer, Sdgon tentait par son Epitre de
gagner Jean Bouchet à son parti ; mais il n'en tira qu'une
réponse fort mesurée, aboutissant à une déclaration de
neutralité :
Quant est de mojr i'en quitte la partie,
le suis amy de tous en charité,
l'entends de ceulx qui suyuent vérité.
Il me desplait de veoir vous trois en picques ,
Et dont aulcuns par brocars satjyriques
En lieu de paix ont tendu vous mouuoir
A plus grand guerre et grand discord auoir 3.
Repoussé de ce côté, il fut plus heureux auprès de
Françoise de Foix, comtesse de Chateaubriand, qui le
' Voir, plus loin, la Bibliographie des Œuvres de Sagox.
' Un renvoi donne: « Marot, Sagon et la Hueterie (ou Huet). »
* Epistres familières du Trauerseur, 15/15. Epistre CIX, feuillets
Ixxii et Ixxiij.
20 INTRODUCTION.
soutint pendant cette lutte. Suivant M. de Lescure, « Ma-
rot aurait été le poète ordinaire de Françoise de Foix, son
confident, son secrétaire intime, à qui elle devait elle-
même faire infidélité pour Sagon i . » Nous ne savons si
le fait est authentique pour Marot, mais il est certain
(|ue la dédicace d'un livre de ses Epigrammes, en 1530,
le Rondeau adressé : A Monsieur de Belleuille, qui lui
transmit me Epistre parlant de Madame de Chasteaubriant,
et une Epistre envoyée : A Guillaume du Tertre, secré-
taire de Monsieur de Chasteaubriant prouvent que Marot
avait des rapports avec le mari de Françoise de Foix ^ .
Un passage de cette dernière Epitre est le seul où il
soit question d'elle. Parce que le secrétaire de son mari
avait envoyé des vers à Marot, celui-ci a cru devoir
adresser une Epitre au secrétaire Guillaume du Tertre,
et non transmettre verbalement sa réponse par le secré-
taire de Montejan, en faisant ainsi l'éloge du comte et de
la comtesse de Chateaubriand.
Car la maison ou Dieu t'a voulu mettre
Digne te rend, et plus que digne au Monde,
Non que Marot, mais Maro, te responde.
Que pleust a Dieu, que tant il me feit d'heur,
Qu'ores ie puisse escrire au serviteur
• Les Amours de François 1^', 1" édition, p. 157.
' Œuvres de MaroL édit. de 1596, pages 368, 337 et 169.
INTRODUCTION.
Ôî
Propos, qui fiist si fort plaisant au maistre,
Que mal plaisant ne peust à la Dame estre*.
Quand il écrivait ces vers, Marot n'étiit ni « le poète
ordinaire, ni le confident, ni le secrétaire intime » de la
comtesse, et nous doutons qu'il l'ait jamais été. Tout au
plus aurait -il pu l'être momentanément du mari.
Mais un fait bien constant, c'est que Sagon fut accueilli
avec faveur, à une époque indéterminée, par la comtesse
de Chateaubriand, comme on le voit par maint passage
de son poème, le Regret d'honneur féminin, Gom])Osé après
la mort de sa protectrice, pour célébrer ses vertus. L'un
de ses motifs pour faire l'éloge de cette dame est l'appui
qu'elle lui prêta contre Marot. Il doit l'entreprendre^ v .
Veu qu'en viuani, me donna de bon ^elle
Faueur, tesmoing Sepeaux la damoyselle.
Qui peust bien veoir, quung moys aiiant sa mort
En sa douUeur me donna grand confort
Contre l'effort de marotins alarmes'^.
C'est donc en septembre 1537, au plus fort de la lutte,
que la dame de Chateaubriand consola Sagon, en le sou-
tenant contre les attaques de Marot et de ses partisans.
« Ibid., p. 174.
* Voir, plus loin, le te^te du Pohne.
22 INTRODUCTION.
Si ce passage fait honneur à la reconnaissance de notre
auteur, il montre aussi toute la peine qu'il ressentit de
« l'effort des marotins alarmes. » Cette lutte dut profon-
dément troubler sa tranquillité, car le succès final ne fut
pas de son côté. Marot, dès le début, caché derrière
Fripelippes, son valet imaginaire, tout en répondant sur
le même ton à son adversaire, eut toujours sur lui
l'avantage de le faire avec plus de finesse, d'agrément et
de légèreté de style, au milieu de tant d'attaques directes,
de ces violentes personnalités, dont le ton allait crois-
sant avec l'animation des partis.
Voilà une révélation toute nouvelle, due à notre poème,
que cette intervention indirecte de la dame de Chateau-
briand soutenant Sagon contre Marot.
Mais ce n'est pas la seule preuve de leurs rapports
qu'on y trouve. Pour être en état de rappeler ses qualités
physiques et morales, et de venir longuement.
De son esprit faire oiiiierture,
il fallait avoir vécu dans l'intimité de la comtesse.
Par plusieurs autres passages, on voit que Sagon avait
été témoin des soins qu'elle avait donnés à l'éducation
de son neveu et de sa nièce, Henri de Foix, seigneur de
Lautrec, et Claude de Foix, comtesse de Laval, restés
orphelins. C'est à elle qu'ils doivent leurs vertus.
INTRODUCTION. 23
N'est-ce pas un familier (un domestic, comme on disait
alors), un directeur peut-être, qui a pu dire:
le puis bien escrire en ce lieu
Que du désir quelle eust a Dieu
Ensuyuit par doctrine saine
Vne Katherine de seine.
Enfin , Sagon aurait bien pu savoir indirectement
qu'elle possédait l'italien, l'espagnol, avec une certaine
teinture du latin et une grande habileté dans l'art d'ex-
pliquer les devises. Mais il fallait avoir vécu longtemps
près d'elle, pour porter de son savoir le témoignage tout
personnel, que le poème contient sur le talent de cette
dame à parler de poésie.
le seray par expérience
Tesmoing de sa haulte science.
l'en puis bien dire a mon aduis
Ce que ien scay par soti deuis,
Auquel trouuay auec fortune,
En son viuant heure opportune
Tant que Voy par plusieurs foy s,
La dame Françoise de Foix,
Parler de plus haulte pratique
Que Sapho en l'art poétique.
24 INTRODUCTION.
Notre auteur n'était donc pas le premier venu, pour
être admis dans la société, dans l'intimité de Françoise
de Foix et de plusieurs autres personnages marquants de
la Bretagne et de l'Anjou, dont ses vers ont également
conservé le souvenir.
Après sa lutte contre Marot, Sagon laissa complètement
de côté ses allures batailleuses^ pour ne plus écouter que
la voix de l'amitié, qui lui inspira des vers bien différents
des premiers, peu satisfait, sans doute, de la triste célé-
brité qu'ils lui avaient value.
« Dans les poésies dont Marot est l'objet, Sagon parle
quelquefois de noble homme Guy Morin, seigneur de
Loudon, avec qui il était ]ié d'amitié. Il perdit cet ami^
à la fin de juillet ou le premier août 1536, Morin ayant été
tué à l'armée devant Turin, dans un âge peu avancé.
Sagon ne se contenta pas de le regretter, il fit imprimer
en 1537, à Paris, une traduction que Morin avait faite du
traité d'Erasme : De la préparation à la mort, et il y
joignit un Discours en vers français de la vie et mort acciden-
telle du Traducteur avec son Epitaphe. Le discours a envi-
ron mille vers : il est presque tout historique et il peut
suffire à ceux qui sont curieux de connaître la famille, la
vie et les actions de Guy Morin. Du reste, il n'y a nulle
invention dans ce poème, et la versification en est plate
et souvent défectueuse i. »
• Bibliothèque française de l'abbé Goujet, t. XL
INTRODUCTION. 25
Voici les vers placés au verso du titre :
Plorei mes vers, mes yeulx fo7ide\ en larmes.
Cueur esbahy, sonne mortel^ alarmes
Pour Guy Morin, iadis sieur de Loudon,
Que mort renuerse aiiec ses noires armes
Au lict d'honeur des genti:{ hommes d'armes
Plore:{ donc tant que de gloire ait le don.
Notre auteur a deux mérites, dont l'abbé Goujet n'a
rien dit. Il est très méthodique dans la composition de
ses œuvres. Gela ressort de la division de son Disgovrs
ainsi donnée : 1" Bref argvment en forme d'Epithome;
oo Proposition ; 3° Invocation ; 4" Narration ; 5° Rondeau à
l'honneur dudict défunct; 6" Epitaphe. La fin de l'Epitaphn
est :
et Icy fut mis après qu'il fut occis
Le tiers iour d'Aoust, mil cinq cens trente six. -a
« Vêla de quoy,
FRANC OYS DE SAGON. "
Il a aussi un mérite qui a échappé à cet abbé, celui
d'une versification plus savante et plus régulière que celle
de ses contemporains, sur laquelle nous reviendrons.
L'amitié ou la reconnaissance lui conseillera encore.
le reste de sa vie, de faire des vers en l'honneur des
4
26 INTRODUCTION.
t'amilles qui le protégaient, quand elles viendront à
perdre quelques uns de leurs membres. C'est un genre
tj[u'il avait inauguré avec le Regret d'honneur féminin, pour
célébrer les vertus de la comtesse de Chateaubriand, et
qu'il n'abandonna plus. Telles sont ses Epitaphes en vers
français de la famille de Brie de Serrant.
Le nom de leur auteur serait probablement resté
ignoré, sans ce passage de la courte notice que La Croix
du Maine a consacrée à Sagon, dès le xvi« siècle. « Il a
composé, dit-il, tous ou la plus grande partie des epi-
taphes qui se voient en la chapelle du château de Serrant
en Anjou, à trois lieues d'Angers, faits en l'honneur des
sieurs dudit Serrant, surnommés de Brie, qui est une
fort ancienne et très noble maison '. »
Dans ses Remarques sur la Vie de Guillaume Ménage
(pages 307-315), Gilles Ménage a placé un chapitre inti-
tulé : « Sommaire de la généalogie de la maison de Brie»,
moitié prose, moitié vers. On y trouve un exposé généa-
logique, suivi d'épitaphes en vers français dedixsyllabes,
chacune d'elles ayant de quinze à seize vers. Elles sont
au nombre de onze, cinq pour les hommes de cette mai-
son, cinq pour les femmes qu'ils ont épousées, et une
pour le fils de Gilles de Brie et Anne Giffard, nommé
* Les Bibliothèques françaises de la Croix du Maine et de Du Ver-
dier, sieur de Vaiiprivas. Nouvelle édition, m. dcc. lxxii, t. I, p. 237.
INTRODUCTION. 2/
Ponlhus de Brie. La voici comme spécimen de toutes les
autres. C'est le mort qui parle :
L'heur de fortune en haut me fit lever.
Nature aussi m'a fait noble approuver :
Dont gloire humaine au monde ay recouverte.
Mais Mort ; pour Vune et l'autre treuver ;
Comme le vent de l'automne en Ityver
Fait choir la fueille en esté toute verte ^
Ma chair sous terre en Février a couverte
Tiers jour du mois .-jour suivant Biaise Alartyr.
O donc, Lecteur, pour de moy t'avertir,
Teus nom Ponthus; de vie tant loyal le.
Que fus par Lettres et par grâce Royal le
Du Roy Louis Un^iesme chambellan.
Dedans Serrant ma Lettre en garde l'an.
Pour démonstrer la chose véritable,
De mil cinq cent, oltre trois, sera l'an'.
A la suite de cette citation, Gilles Ménage ajoute :
« Et cet épitaphe est le dernier de ceux des seigneurs de
Brie de Serrant, qui sont dans l'église de Saint-Georges.
Ces épitaphes, au reste, ce que peu de personnes savent,
ont été faits par François Sagon. Je l'ay appris de cet
endroit de la Bibliothèque de La Croix du Maine. » Puis
' VitSB Pelri jErodii, etc , pages 311-312. — Voir la Bibliographih
DES Œuvres de Sagon, ci-après.
08 INTRODUCTION.
vient un résumé de l'article de ce dernier sur Sagon,
dont la fin a été citée plus haut i .
On comprend que notre poète, secrétaire de l'abbé de
Saint- Evr ouït, Félix de Brie, ait voulu lui complaire et
gagner ses bonnes grâces, en faisant en vers les épitaphes
des divers membres de sa famille, pour être gravées sur
le marbre et placées dans la chapelle du château de
Serrant, suivant La Croix du Maine, ou de l'église de
Saint- Georges, suivant Gilles Ménage. Ces vers en
l'honneur de la famille de Brie ne furent imprimés que
plus d'un siècle après la mort de Sagon.
Il n'en fut pas de même d'autres vers concernant en-
core une famille célèbre de l'Anjou. Pendant que les
Français, guerroyant en Italie contre les Impériaux,
assiégeaient Carignan, le comte d'Enghien, par une
attaque aussi imprévue qu'impétueuse, avait remporté
sur l'ennemi la brillante victoire de Gérisoles en Pié-
mont (14 avril 1544) ; mais plusieurs membres de la no-
blesse française y avaient trouvé la mort, et l'une des
victimes, qui se rattachait à la famille Errault, devint,
avec deux autres compagnons d'armes, l'objet des chants
de Sagon.
L'année même de la bataille ^ il publia : La Complaincte
de troys gentilzhommes françoys, occiz et morts au voyage de
' Voir ci-dessus, p. 2G.
INTRODUCTION. 29
Carrignan; bataille et iouniee de Cérizolles. « Ces trois gen-
tilshommes sont le seigneur d'Acyer, grand Ecuyer de
France, qui se complaint ' de la mort de son fils, tué à la
journée de Gérisoles; M. de Ghemens, neveu de Fran-
çois Errault, chevalier, seigneur de Ghemens, qui fut
destitué de la dignité de garde-des-sceaux en 1544 .- et le
seigneur de Barbezieux, Gilbert de la Rochefoucauld,
grand sénéchal de Guyenne. Ge seigneur ne fut pas tué
à la journée de Gérizolles, mais il mourut à Lyon, à son
retour en France. Aussi s'en plaint-il avec beaucoup
d'amertume^. Ges complaintes sont entremêlées de
quelques autres pièces qui ont rapport au même sujet.
Par exemple, après la complainte sur la mort de M. de
Ghemens 3, Sagon pleure la même morl dans un dixain
et console Mademoiselle de Loudon, cousine du défunt,
dans une Epitre morale qu'il lui envoyé, et ses autres
parents par d'autres vers qu'il leur adresse- La complainte
sur la mort de M. de Barbezieux est pareillement suivie
d'un rondeau Du Moyen de bien mourir, d'une autre com-
plainte où la veuve de M. de Barbezieux exprime ses re-
' Allusion au titre de l'une des pièces de cet ouvrage : Complainte
du seigneur d'Acyer grand escuijer de France, sur la mort de son fih
unique, occiz en fleur de ieunesse clcuant Carrignan. — F. B.
' Sagon a introduit dans ce Recueil une : Complainle du srigneur
de Barbezieux, parlant après mort a SfS amys uiuanti. — F. B.
? Elle a pour titre : De Chemens occys deuant Carrignan a Monsieur
de Chemens, garde des scaulx de Francs, oncle du deffuncl. — F. B.
30 INTRODUCTION.
grets, de plusieurs quatrains sur la mort, de quelques
Huitains, Dizains et Rondeaux sur le même sujet, et d'un
Colloque long et ennuyeux entre Rien du Monde et Tout du
Monde *, où il est encore question de la mort en général,
et de celle de M . de Barbezieux en particulier. Et comme
le Recueil devait être consacré aux chants funèbres,
Sagon le finit par diverses pièces sur la mort de Claude
de Brie de Serrant, qui fut enlevé peu de temps après
sa naissances. »
Ces Plaintes, ces Complaintes, récits naïfs ou plaintifs
d'une action réelle ou imaginaire, ayant son exposition,
ses péripéties et son dénoûment, étaient alors une œuvre
sérieuse, dont on retrouve de nombreux échantillons.
L'intention du poète était d'intéresser ou d'édifier les
esprits, avec le secret désir de complaire aux familles
dont il célébrait les morts. On peut bien croire que toutes
ces productions avaient un but intéressé; mais pourquoi
le cœur ne les aurait- il pas aussi inspirées ? Tout impar-
faites qu'elles sont, elles semblent bien préférables aux
pièces de la lutte contre Marot; car, les revers engendrant
l'injustice, le ton de ces dernières laisse fort à désirer,
' Le tilre complet est : Colloque funèbre après la mort de monsieur
de Barbesieux père du dernier deffunct : par le dictAuiheur, à la requesle
d'une dame de la Court estant par alliance Bien du Monde a son Tout le
Monde. — Et non Tout du Monde. — F. B. s
* L'abbé Goujet, Bibliothèque française (1747), t. XI, pages 100-10!.
mfRODUGTION. 3i"
tandis que, dans les premières, le cœur de Sagon paraît
s'être soulagé de tous les sentiments qu'exprime l'es-
prit.
Dans ce Colloque funèbre, comme dans le Regret d'hon-
neur féminin, l'acteur (l'auteur) fait sa partie, et Rien du
Monde et Tout le Monde lui donnent la réplique. On y
retrouve aussi les vieilles formes de notre poésie : Lai,
Ballade, Chanson, Epitaphe et Complainte, avec la devise
ordinaire de Sagon, pour terminer ses ouvrages :
Vêla de quoy.
Malgré les attaques de FripelippeSj qui l'accuse « d'es-
corcher le latin comme un mastin, o le choix de l'arche-
vêque d'Amboise, pour prêcher dans le synode d'été, nous
a paru tout à l'honneur de Sagon, et il dut avoir, hors de
Rouen même, une certaine réputation comme orateur
sacré.
Ainsi, vers 1536, Jean Bouchet, procureur de profes-
sion, à Poitiers, mais historien et poète des plus féconds,
ayant reçu de Sagon une Epistre en vers, n'hésite pas à
dire en tète de sa réponse :
Va lettre va declairer ton îargon
A l'orateur maistre Francoys Sagon «.
' Episi.res familières (lu Trauerseur, 1545. In-f°, feuillet Ixxiij.
3^ INTRODUCTION.
De plus, nous avons retrouvé de lui une Oraison funèbre
faicte es exeques de feu messire Philippes de Chabot, grand
admirai de France, de Bretaigne et de Guyenne. Aucun au-
teur, aucun bibliographe ne l'a citée . Gomme cet amiral est
mort, le 1" juin 1543, c'est peu de temps après que Sagon
a dû la faire pour les « exeques » (funérailles, exsequiœ)
de cet amiral célèbre. Elle est loin d'être réellement élo-
quente; mais elle vaut bien celles que l'on faisait alors.
Comme les grands orateurs de la chaire, au siècle sui-
vant, Sagon débute par un texte de l'Ecriture sainte,
d'où il tire sa proposition : a In pace in idipsum, dormiam
et requiescam ; quoniam tu domine singulariter in spe
constituisti me. Psal. 4. » Puis viennent l'exorde et la
division en deux parties, dont il rappelle méthodique-
ment le texte latin. Au haut d'un feuillet, on lit : « S'en-
suyt la seconde proposition du mort viuant : Quoniam
tu domine singulariter in spe constituisti me. » Enfin
l'oraison funèbre se termine par ces mots :
« A tant faiz fin, attachant a son tombeau, ce petit dis-
tichon.
DISTICHON.
a Vt Syrenes, pelagi rabiem, nemesisque Philippiis
Vicity ad œthereos appulit ipse sin! (us). •
Le poète perce sous l'orateur chrétien, et si cette orai-
son funèbre fut réellement prononcée, il fallait le goût
INTRODUCTION. 33
de l'antiquité propre à la Renaissance pour faire passer
les Sirènes et Némésis dans la bouche d'un prêtre chré-
tien faisant l'éloge d'un mort, du haut de la chaire, ou
la plume à la main.
Nous avons parlé plus haut « d'une cure dont Sagon
aurait été pourvu i . » Fripelippes le premier fait connaître
la promesse éventuelle que Félix de Brie, l'abbé de Saint-
Evroult, fit à son secrétaire, de la cure de Soligny (Soli-
gni'la-Trappe, Orne, arrondissement de Mortagne, canton
de Bazoches-sur-Hoënes) pour l'engager à se lancer dans
la lutte contre Marot. Le fait peut bien n'être pas sans
fondement ; car « la euro de Soligny était divisée en deux
parties ; l'une à la nomination du seigneur temporel, la
seconde à celle de l'abbé de Saint-Evroult 2 . » De plus,
elle était à la convenance de Sagon, voisine de l'abbaye
où il exerçait les fonctions de secrétaire. Suivant une
habitude assez constante, Marot, qui avait fait des jeux
de mots sur les noms des poètes Papillon, Lyon Jamet, et
Sagon, ne perdit pas l'occasion d'en risquer un nouveau
sur Soligny. Après ces vers, où son adversaire prétend
que Sagon promet d'engager la lutte.
' Voir p. 14.
* Mémoires pour servir à l'histoire du diocèse de Sées (manuscrit), par
Calimas. — Ce renseignement est dû à l'obligeance de M. Louis Duval,
archiviste de l'Orne, qui a bien voulu faire pour nous plusieurs autres
recherches, dont nous allons profiter, en l'en remerciant.
5
34 INTRODUCTION.
Pour veu
Qu'en après il serait pourveu
De la cure de Soligny,
Fripelippes (Marot) ajoute aussitôt :
Quand à celle de Sotigny,
Lojî temps a par élection
Tu en prins la possession.
Gela n'a rien d'invraisemblable. A cette époque, les
princes payaient d'ordinaire les poètes et les gens de
lettres avec deux monnaies principales : ou bien ils en
faisaient leurs valets de chambre ; ou bien ils les do-
taient d'abbayes, de bénéfices ou d'évêchés. L'abbé de
Saint-Evroult, moins puissant qu'un prince, a pu pro-
mettre une cure à Sagon, comme récompense des services
rendus par son secrétaire, et par son champion dans la
lutte religieuse engagée à sa sollicitation.
Mais Sagon ne la posséda jamais. Son valet Boutigni,
qui n'est autre que lui-même, l'affirme formellement :
Et quand au regard de la cure
De Solligny: va gentil veau,
Sagon n'en eust onc un naveau.
Car l'Abbé sans aucun prologue
La donna à ung pédagogue
Que je puis nommer sans danger,
INTRODUCTION. 9^
C'est maistre François Bellenger,
Homme discret, prudent et sage «.
Il ne nie pas la promesse de la cure, mais la posses-
sion. L'autre en a toujours profité pour faire un jeu de
motSj dont le fond devait déplaire à Sagon, tout forcé
qu'il est.
Depuis que l'abbé Goujet a dit de Sagon : « Il se qua-
lifie curé de Beauvais dans une Epitre en vers qu'il adressa
à Jean Bouchet, et qui est la cent neuvième des Epitres
familières de celui-ci 2, » tout le monde a répété : « Sagon
fut curé de Beauvais. » Ce passage est assez singulier
pour sa rédaction. La désignation de : « Curé de Beau-
vais » est bien vague , et paraît sortir des habitudes
liturgiques^ le nom de la paroisse étant presque toujours
rappelé^ quand il s'agit d'une cure de ville. Mais, déplus,
ce n'est pas Sagon qui « se qualifie de curé de Beauvais; »
c'est Jean Bouchet, ou ses imprimeurs, « Guill"» Bou-
chet et Jacques Bouchot, » dans le titre placé en tête de
l'Epitre, et que voici :
« Epistre GIX. Epistre de maistre Francoys de Sagon
curé de Benuuais au dict acteur, p (ar) laquelle se com-
plainct d'vne faulse amytié perdue, et veult a luy atraire
le dict acteur. »
> Œuvres de Marot, édition de Lenglet Dufresnoy, pièces du Dif-
férend, t. IV, p. 457.
* Bibliothèque française, etc. m.dcc. xlvii, in- 12, t. XI, p. 86.
4
36 INTRODUCTION.
Il est clair que ce titre est dû à Jean Bouchet ou aux
éditeurs des Epistres familières du Trauerseur en 1545,
qui ont bien pu lire, sur la copie, Béarnais, au lieu de
Beauvaiii (Orne, arrondissement d'Alençon, canton de
Carrouges), cure à peu de distance de Saint-Evroult,
dont la présentation appartenait à l'évêque de Sées*.
C'est une simple hypothèse, pour expliquer l'affir-
mation si catégorique « de curé de Beauvais, » faite par
des contemporains. En tout cas, Sagon aurait occupé
cette cure avant une autre, sur laquelle il n'y a plus le
moindre doute.
La preuve en est fournie par un acte authentique, une
procuration donnée à Rouen, lors de la mort de notre
auteur. Elle émane de : « François de Sagon, bourgeois,
demeurant paroisse S. Amand de Rouen, frère et héri-
tier de M* François de Sagon, en son vivant, prêtre, curé
de Sérigmj, secrétaire de l'abbé de S. Evroult^. » On voit
qu'à sa mort Sagon était certainement « curé de Séri-
gny, » ou Serigni (Orne, arrondissement de Mortagne,
canton de Bellème) . « Cette cure était à la présentation
du chapitre de Tours 3. »
La date de la procuration ci- dessus va permettre aussi
', ' Communication de M. L. Duval.
» Registres du Tabellionnage de Rouen. ~ Communication due à
l'obligeance de M. Ch. de Beaurepaire.
î Communication de M. L. Duval.
INTRODUCTION. 37
de rétablir la vérité sur un autre point, la date de sa
mort. La Croix du Maine, le premier de ses biographes,
ne la donne pas ; mais il fait bien entendre qu'il le croit
encore vivant, sous Henri II, en 1 559, puisqu'il dit : < Il
a écrit le Chant de la Paix, faite entre le Roi Henri II et
Philippe, Roi d'Espagne, imprimé à Paris par Barbé
Regnault; la Réjouissance du Traité de Paix en France
publiée l'an 1559, imprimée à Paris par Olivier de
Harsy, audit an 1559. » Son article se termine par ces
mots : « Il florissoit l'an 1 538 sous François I et sous
Henri II. » Une note, placée à la fin de cet article, dans
la réimpression de l'ouvrage, ajoute plus explicitement :
« François Sagon vivait encore en 1559. On a de lui une
pièce sur la Paix de Cateau-Gambresis, qui fut conclue
cette année. Elle a pour titre : La Réjouissance de la
Paix publiée l'an 1559. Il y a apparence qu'il mourut peu
après*. » L'abbé Goujet a répété la même date et le
même fait, et M. Frère, dans son Manuel du, Bibliographe
normand, a mis : « Sagon né à Rouen au commencement
du xvi^ siècle et mort en 1560. » L' « apparence » de tout
à l'heure s'était transformée en assertion positive.
C'est prolonger, sans raison, sa vie de quinze ou seize
ans ; car Sagon était mort, avant le 19 août 1544, date
* Les Bibliothèques françaises de la Croix du Maine et de Du Verdier^
sieur de Vauprivas. Nouvelle édition par M. Rigoley de Juvigny. Pa-
ris, M.DCC.LXXII, t. Ij p. 238.
38 INTRODUCTION.
de la procuration donnée à Rouen, par son frère, Fran-
çois de Sagon^ probablement en vue de régler les affaires
de la succession ouverte par cette mort.
La similitude du même prénom, donné aux deux frères,
pourrait servir à expliquer comment un « François de
Sagon » a pu être l'auteur de La Réjouissance du Traité de
paix publiée en 1559. Enfin le nom de cette famille se
perpétua dans la ville natale de notre auteur. Un compte
du domaine de Rouen, en 1600, porte encore : « De
François Sagon, pour une maison assise devant le cime-
tière de l'église de Saint-Amaiid de Rouen*. »
Tels sont les nouveaux renseignements, qui nous ont
permis de rectifier et de compléter ceux qu'on possédait,
en bien petit nombre, sur la vie et sur les œuvres de
notre auteur, l'une n'étant pas plus connue que les
autres.
II. — LE POÈME FUNÈBRE DE SAGON.
Après ces détails préliminaires indispensables pour
faire un peu mieux connaître Sagon et ses principales
œuvres, arrivons à l'étude du manuscrit inédit que nous
publions, et qui a pour titre : Le Regret d'honneur fœminin
' Folio 307. — Communication de M. Gh. de Beaurepaire.
INTRODUCTION. 3^
et des troys grâces, sur le trespas de noble dame Francoyse de
Foix, dame de Chasteaubriant, et mirouer de noblesse fœmi-
nine — Par Francoys de Sagon, secrétaire de l'abbe de Sainct
Eburoul.
On a déjà vu les rapports que Sagon avait eus avec la
comtesse de Chateaubriand i . Au lieu d'y revenir, disons
quelques mots de cette dame, protectrice de Sagon, que
son poème funèbre avait pour but de dérober à l'oubli.
or Françoise de Foix, célèbre sous le nom de comtesse
de Ghateau-Brl\nt, étoit fille de Jean de Foix, vicomte
de Lautrec, et de .Jeanne d'Aydie, fille aînée et héritière
d'Odet d'Aydie, comte de Gomminges, et eut pour frères
Odet de Foix, dit vicomte de Lautrec, puis maréchal de
France, et André de Foix, dit VEsparre ou Asparaut. »
C'est ainsi que débute le chapitre des Anecdotes des Reines
et Régentes de France 2, où Dreux du Radier s'occupe de la
comtesse de Chateaubriand.
Elle naquit vers 1495, et Jean de Laval, comte de
Chateaubriand, né en janvier 1487, l'épousa dans le
cours de l'année 1509, quand, à quatorze ans, elle était
la plus belle des filles de la reine, e C'est à partir de 1515
que la famille de Foix arrive aux premiers rangs, et il
' Voir plus haut, pages 21-22.
* Le titre général est : Mémoires historiques. Critiques et Anecdotes
de France. Amsterdam, m. dcc, lxv. 4 vol. in-12. —Tome III, pages
144-173.
40 INTRODUCTION.
est probable que cette pluie d'or et défaveurs qui jaillit,
dès ce moment, des sources de la munificence royale sur
les frères de la comtesse, fut le prix indirect et comme la
rançon de l'honneur de l'épouse gagnée à l'infidélité par
son affection fraternelle. Le bâton de maréchal de France
mis aux mains de son frère aîné donna peut-être le signal
de cette victoire amoureuse de François I * ». On peut le
supposer, en cette cour où YAmadis des Gaules était la lec-
ture favorite, et où la galanterie régnait dans tous les
rangs.
Après la défaite de Pavie (2d février 1525), François I,
prisonnier au château de Madrid , entretint , avec la
comtesse de Chateaubriand, une correspondance prose
et vers, empreinte des sentiments les plus tendres, sous
un tour souvent fort délicat». Mais, une fois rentré en
France, le 10 mars 1526, il abandonna ainsy qu'un cloud
• Les Amours de François /, par M. de Lescure. (1865). Paxsim, pages
152-159.
* Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale, fonds Baluze,
n» 7788. Ce Recueil, signalé pour la première fois par Lenglet-Du-
fresnoy, dans son édition de Marot, 1731, a été publié, en 1847, par
M. Champollion-Figeac. Des doutes se sont élevés sur les noms des
auteurs de cette correspondance. C'est en nous rangeant à l'avis du
Bibliophile Jacob et de M. de Lescure, ibid., pages 175-184, que nous
l'attribuons à François I et à la dame de Chateaubriand. — Voir,
Appendice II, deux lettres de Françoise de Foix, écrites à une autre
époque.
INTRODUCTION. 41
chasse l'autre, suivant l'énergique expression de Bran-
tôme, pour M"« d'Heilly, fille d'honneur de la reine-mère,
Louise de Savoie, l'auteur de cette révolution d'alcôve.
Dans sa disgrâce, par la dignité de sa conduite, lu
dame de Chateaubriand sut encore obliger le roi à l'es-
timer. Nous en citerons pour preuve l'anecdote, conser-
vée par Brantôme, ce singulier abbé, « autorité récu-
s'able en matière gravement et minutieusement histo-
rique, mais qui a recueilli la tradition vivante des galan-
teries du règne de François I, et dont l'autorité en ces
frivoles questions ne saurait être suspecte * » ,
Quand les amours de la comtesse avec François I
eurent pris fin, « plus à l'honneur de la première que du
second », suivant la judicieuse remarque de M. de Lescure,
{ibid. p. 183), le sentiment de sa dignité revint chez la
femme délaissée. Comprenant bien que les amitiés offen.
sées n'ont d'autre refuge que le silence, elle sut rester
dans le deuil et dans l'obscurité, durant les dix ou onze
années qui séparent sa disgrâce de sa mort, arrivée à
Châteaubriant, le 16 octobre 1537, à l'âge d'environ qua-
rante-deux ans.
Il lui fit élever, à Châteaubriant, dans l'église de la
Trinité, au couvent des Mathurins, un tombeau décoré
d'une statue en marbre et d'une épithaphe due à Marot,
' M. de Lescure, ibid., p. 152. — Voir l'anecdote, Appendice III.
6
4 2 INTRODUCTION.
qui, depuis longtemps, était en rapport avec lui, comme
le prouvent plusieurs pièces de poésie contenues dans ses
œuvres i.
Sagon s'empressa de composer un éloge plus complet
de cstte dame. Le mobile qui l'y porta est tout à son
honneur, puisque c'est une dette de cœur qu'il acquitta,
en chantant, après sa mort, la grâce, les talents et les
vertus de la dame de Chateaubriand.
Dîray ie un mot a]pre\ mort temporelle
D'honneur, de gloire et louenge pour elle ?
Droict s'y consent, et la raison le veiilt
Puis, son amour commander me le peult
Veu qu'en viuant, me donna de bon ^elle
Faueur,
Dont son remors enuoye en mes yeulx larmes
Autant de fois qu'en l'esprit me reuient.
Les cœurs bien placés sont seuls capables de conserver,
surtout audelà du tombeau, le souvenir des services
rendus et d'en faire ainsi un touchant éloge.
C'est donc à la reconnaissance de Sagon, pour la dame
de Chateaubriand, qu'est dû Le Regret dhonneur fœminin,
poème funèbre, qui n'a pas moins de 681 vers, et 40 vers
en plus pour les sept petites pièces de la fin.
ï Voir, Appendice IV, l'Epitaphe de Marot, avec deux autres Epi-
taphes contemporaines. — Voir aussi, plus haut, p. 20.
INTRODUCTION. 43
Voici la marche de ce poème, autant qu'il est permis
d'en saisir la pensée, sous cette forme assez vague et in-
déterminée de la poésie, qui échappe parfois à une ana-
lyse rigoureuse.
L'acteur (c'est-à-dire l'auteur), Sagon, invite l'Honneur
à se plaindre, et les Grâces à prendre le deuil, parce que
leur miroir, Françoise de Foix, n'est plus, et que la
France a perdu en elle le modèle de la Noblesse féminine.
L'Honneur, s'adressant, en dizain, aux Trois Grâces, les
engage à pleurer cette mort, qui fait à toute honnête
femme le tort le plus considérable.
Pasithée, la première des Grâces, se rendant à cette
•invitation, débute en disant que la mort d'une mortelle
n'a rien d'étrange ; mais , se reprenant aussitôt , elle
affirme que cette mort prématurée assure à son esprit,
dont la terre n'était pas digne, la vie dans le ciel. Egialée,
la seconde Grâce, distinguant l'âme du corps, aboutit à
la même conclusion : les qualités de la défunte la feront
triompher de la mort, tant qu'on fera cas d'honneur en
France. Euphrosine, la troisième Grâce, ajoute que, vic-
time d'une mort prématurée, tant de dons ne lui ont
servi à rien ; mais il faut se soumettre à la volonté du
Tout-Puissant, bien que la France en reçoive le contre-
coup avec tristesse.
Honneur engage alors les filles et les femmes, jalouses
de leur réputation, à pleurer la perte de leur modèle. Ses
44 INTRODUCTION.
qualités en faisaient une perle d'honneur, qui défiait
toute critique, et l'envie seule a pu la rendre l'objet d'un
injuste blâme. En amour conjugal, c'était une Laodamie -,
en amitié, une Lucrèce, une Sabine ; dans le mariage, une
Pénélope, une Didon; en grâce courtoise et humaine,
une Porcia. Bref, elle eut toute la dignité, que les qua-
lités du corps et de l'esprit peuvent donner aune honnête
dame, et si Honneur se plaint, après sa mort, c'est que le
mérite de cette dame l'y oblige.
L'éloge de la défunte continue par une ballade, dont les
trois strophes sont mises successivement dans la bouche
de chacune des trois Grâces, avec un refrain où Françoise
de Foix est proclamée :
Le miroer dhonneur et de grâce,
refrain qui termine l'envoi par Honneur lui-même.
L'acteur, reprenant la parole, demande aux dames de
France si elles connaissaient celle qu'on pleure dans
Châteaubriant, celle dont Honneur va redire la perte aux
dames de la cour.
Les monts et les vallées retentissent des cris de deuil
que sa mort fait pousser en Bretagne. La pitié doit inspi-
rer quelque respect aux cœurs français, pour montrer
à la postérité qu'ils en ont conservé le souvenir.
Faut-il en faire l'éloge après sa mort? La raison le veut,
INTRODUCTION. 45
l'amitié le commande, cette amitié dont il eut des preuves
dans sa lutte contre Marot, un mois même avant la mort
de celle dont le souvenir lui tire des larmes.
Puisqu'il convient de la louer, il dira qu'elle méritait
toute espèce d'éloges. Elle avait le cœur pur et savait
mettre la paix partout. Quel dommage que la mort ait
précipité dans la tombe le corps d'une femme que toutes
les Françaises doivent pleurer partout et qui fut leur
modèle !
Une des Grâces engage l'acteur à laisser là le corps,
qui n'est que fange, en le couvrant de cyprès et de roses,
pour arriver à l'esprit, seul digne de louanges.
La critique est juste, et, avec l'aide de cette Grâce, le
poète va s'occuper de l'esprit, en le comparant avec celui
d'autres femmes célèbres, non sans une certaine satis-
faction, la nécessité de citer des exemples lui fournissant
l'occasion de faire montre d'une ample connaissance des
anciens auteurs.
Ilprendra d'abord, dans Politien, l'esprit de Cassandre
Fidèle. L'une et l'autre, préférant la plume au fuseau,
furent habiles à écrire des lettres, et, si l'Italien Politien
a pu louer l'esprit éminent d'une Vénitienne, l'acteur
français a bien le droit de louer celui d'une Française.
Les trois Grâces engagent Sagon à laisser Politien
parler, en latin, de Cassandre Fidèle, et, cette Française,
adonnée aux travaux de l'esprit et non moins forte
46 INTRODUCTION.
qu'Artemise, Sagon pourra louer son esprit et son corps.
Honneur et les Grâces se joindront à lui. C'est un devoir
pour lui, faisant trêve à toute querelle, de répandre par-
tout la renommée de son héroïne.
Honneur lui demande alors s'il passera sous silence la
noblesse de la maison de Foix et le grand nombre de ses
parents illustres qui ne sont plus. C'est un sujet digne
de ses vers. Sagon ne saurait l'aborder, parce que le
sujet est trop vaste et il le laisse à d'autres. L'excuse est
à sa louange, mais Honneur l'engage à prouver que Fran-
çoise de Foix est
Le miroer dhonneur fœmînin.
Sagon obéit, en exposant « la matière du miroer. » Il est
d'une seule pièce, sans tache et sans comparaison avec
d'autres. Après un long rapprochement entre « la masse
corporelle et le blanc cristal », moins pur que le corps
de la noble dame, quel que soit le travail du cristal,
Honneur, trouvant que le poète, « par la philosophie » de
ses comparaisons, a donné assez d'éloges au corps, l'en-
gage à parler des qualités de l'âme.
Pour demonstrer clerement les accord^
D'vng vray miroer qui reflecte et remonstre
Object semblable à celuy qu'on luy monstre.
INTRODUCTION. 47
S'il y réussit, sa récompense sera, cette fois, une couronne
de laurier.
Heureux d'avoir été traité de « philosophe », Sagon
déclare que cette partie de sa tâche est bien supérieure à
l'autre. Pour le déterminer à l'entreprendre, les Grâces
vont jusqu'à lui promettre l'immortalité.
Si tu veulx croirre {amy bening)
Le conseil dhonneur fœminin,
(Auquel plusieurs portent enuie)
Tu auras (sans gloire en ta vie)
Sur Ihumaine fragilité
Aprei mort immortalité.
Se rendant au conseil donné par les Grâces de « par-
faire
Le miroer dhonneur fœminin
Qui n'endure ou reçoit venin,
Sagon aussitôt « déchiffre le Miroer plus haultement » ;
c'est-à-dire qu'il fait plus longuement la « description
naturelle du Miroer », en l'accompagnant des remarques
que la physique des anciens et de ses contemporains
pouvait lui fournir.
Nous ne le suivrons pas dans cette longue exposition
empruntée à Pline, Tertullien, Pausanias, les Natura-
listes et les inventeurs modernes. Toutes les espèces de
43. INTRODUCTION.
miroirs sont passées en revue, depuis ceux de l'anti-
quité jusqu'aux miroirs faits avec le tain par une décou-
verte récente. Mais les qualités de Françoise de Foix,
douze fois transformée en « Miroir », par métaphore, lui
assurent une grande supériorité sur tous les « Miroirs »
du présent et du passé. Le passage se termine par un
appel aux Grâces. Si elles sont touchées de cette perte,
quittant leur séjour, elles doivent venir en habits de
deuil, leur dit le poète,
Pour regretter cette francoyse dame,
Qii'apre^ la mort votre miroer ie clame,
Quant est à moy? qui tant en mon cueur l'ay
le vous requier contre mort faire vng lay.
Les Grâces obéissent et font un Lai de trois couplets,
ayant chacun douze vers sur deux rimes, où la Mort est
naturellement bien malmenée pour avoir fait de la dame
de Chateaubriand une de ses victimes.
Le Lai terminé, l'acteur nous apprend que les Grâces
ont disparu et qu'on ne les a plus entendues depuis.
Honneur aussi s'est tu, quelque temps auparavant, non
pas qu'il n'y ait plus de vertu en France, mais c'était
pour mieux pleurer l'objet des regrets universels.
Les Français et les Françaises sont engagés à conti-
nuer leurs plaintes contre la mort et contre les dieux.
C'est un devoir pour les dames de la cour de la regret-
INTRODUCTION. 49
ter, pour la Bretagne, de la pleurer et de répandre le
bruit de sa mort. Chacun alors
Se souuiendra que mort a consummée
La flœur dhonneur dedens Chasteaubriant.
Le poète est sûr que cette mort a été des plus pénibles
à son neveu et à sa nièce, Henri de Foix, seigneur de
Lautrec, et à Claude de Foix, mariée à Gui XVI, comte
de Laval. Longtemps elle leur servit de mère, après la
mort d'Odet de Foix, son frère aîné. Le père du jeune
Henri n'avait pu lui laisser que ses biens ; ses qualités,
il les doit à sa tante, et, s'il ne l'oublie pas, il sera plus
tard un homme accompli. Sa sœur, la comtesse de Laval,
assistait, Sagon le croit bien, aux derniers moments de
sa tante, puisque les mille vertus qu'on dit être son
partage, elle les doit à la bonne éducation qu'elle en a
reçue. Enfin, c'est un devoir, pour toutes les dames, que
leurs regrets et leurs écrits laissent dans le monde un
souvenir de la défunte.
Ensuite il prie qu'on se souvienne que la dame de
Chateaubriand eut tous les biens en partage, sauf une
longue existence, victime qu'elle fut d'une mort préma-
turée, à la suite d'une maladie. Il reproche à la Mort
d'avoir ravi une femme aussi accomplie, et il en fournit
la preuve en rappelant la variété et l'étendue de sa
?
50 INTRODUCTION.
science et ses connaissances en poésie. Enfin, de peur
qu'une trop longue comparaison avec les femmes poètes
de Tantiquité ne l'écarté du droit sens, il termine son
poème par ces mots si flatteurs pour son héroïne :
Plus ne scais qu'escrire ou dire,
Sinon, que mort par vng seul coup
A faict du dommage beaucoup,
Quant pour vne a mys en souffrance
Tout Ihonneur fœminin de France.
Telles sont la marche et l'économie du poème de
Sagon, de cet éloge funèbre envers, dans ses lignes prin-
cipales. Il se termine par sept petites pièces françaises et
latines, dont nous ne parlerons ici que pour mémoire, et
les derniers mots du manuscrit sont la fameuse devise :
Vêla de quoy.
Au premier abord, ce poème peut paraître assez insi-
gnifiant; mais, à nos yeux, comme quelques autres
ouvrages bien secondaires, il a sa valeur historique et
littéraire, quand on l'étudié sérieusement. Sa valeur his-
torique consiste dans les nouveaux documents qu'il
fournit sur Sagon et sur la comtesse de Chateaubriand,
et sa valeur littéraire, en ce que ce poème inédit marque
l'âge de transition entre l'école poétique du Moyen- Age
et celle de la Renaissance. C'est à ce double point de vue
INTRODUCTION. ^1
que nous allons l'envisager, en tenant compte des qua-
lités et des défauts de l'auteur.
On a déjà vu les principaux éléments qu'il fournit
pour la Biographie de Sagon ; nous n'y reviendrons pas i .
Mais il est nécessaire d'insister sur ceux qu'il contient
pour l'histoire de la dame de Chateaubriand.
Deux points dominent dans la vie de Françoise de
Foix : le souvenir de ses amours avec François I", et
celui du tragique récit qu'on a bien souvent fait de sa
mort.
Si l'on s'en tenait au dire de Sagon, ces amours, éta-
blies par le témoignage des contemporains et du roi lui-
même, n'auraient jamais existé, puisque, dans tout le
cours de son poème, il lui décerne des éloges qui ne
peuvent convenir qu'à la plus chaste et à la plus ver-
tueuse des épouses.
C estait vne perle dhonneiir
Qui deffioit tout blasonneur,
Cestoit une francoise dame,
Qui ne receust onc aucun blasme,
Sans luy estre a tort impose
Par quelque enuieux trop aose,
Cestoit vne Laodamie
Vne dame non endormie
' Voir plus haut, pages 21-23.
52 INTRODUCTION.
Ail faict de lamour coniugal
Rendant l'autre amour inégal.
Cestoit Pénélope ou Dido
Sous Vestendard de Cupido.
Aussi sera-telle appelée immédiatement :
Le miroer dhonneur et de grâce. . . .
Le miroer dhonneur fœminin.
Enfin Sagon lui décernera cet éloge, sans équivoque
possible sur sa vertu, en disant d'elle :
Miroer remply de grâce gracieuse,
Miroer d'amour ^ tant chaste et bien reigle,
Qii'vng seul amant ne s'y est aueugle.
Ainsi, peu de temps après la mort de la comtesse,
Sagon niait, le premier, ses relations trop prouvées avec
François I•^ On aurait quelque tort de s'en étonner, puis-
qu'à un siècle et demi de distance, Pierre Hevin, avocat
au Parlement de Rennes, emporté par son dévouement
à la famille de Laval, répétera, en d'autres termes, les
affirmations erronées de Sagon. « C'est une calomnie
odieuse, dira-t-il, et même digne de punition, d'avoir accusé
une dame des premières maisons de France, épouse
INTRODUCTION. 53
d'un seigneur des plus considérables de la Bretagne,
d'avoir aimé François !•' et d'avoir manqué de fidélité à
son mari '. » Il se trompait, après Sagon, et l'un et
l'autre auraient été plus dans le vrai en acceptant le fait,
comme Brantôme et même l'auteur du Génie du Christia-
nisme. Sur € cette aventure » d'une personne alliée à sa
famille, M. de Chateaubriand « fait bon marché des
sottes pudeurs et des scrupules excessifs qui portent
certaines familles à vouloir effacer de leur blason, en
violant l'histoire et la vérité, une tache de galanterie '. »
11 ajoute, avec la désinvolture d'un grand seigneur désap-
prouvant ceux qui veulent innocenter la mémoire de la
comtesse : « Au surplus, les peuples pardonnent aisé-
ment des faiblesses qu'ils partagent; l'amour des femmes,
quand il ne descend pas trop bas, n'a jamais nui dans les
Gaules^. »
Du temps de Sagon, ces faiblesses royales, mal dissi-
mulées, ou même étalées sans ménagement, commen-
çaient déjà à ne peser guère dans la balance des juge-
ments contemporains. Mais tel n'est pas le cas pour lui ;
il n'y croit pas et il accuse l'envie d'en avoir mensongè-
' LeUre adressée à M. de Nointel, maître des requêtes envoyé en
Bretagne. In-S^de 60 pages, imprimé en 1680. — Cité par M. de Les-
cure, ibid., p. 115.
- M. de Lescure, ibid,, p. 2t2.
' Mémoires d'Ouire-Tombe, vers la fln.
54 INTRODUCTION.
rement répandu le bruit, en ce qui touche son héroïne-
Sur ce point, il est dans l'erreur et les assertions de son
poème ne peuvent infirmer la tradition ni les témoi-
gnages si positifs de l'Histoire.
Bien convaincu de l'innocence de celle qu'il pro-
clame :
Vne dame non endormie
Au faict de lamour conîugal,
il ne craindra pas de prendre parti pour elle contre son
mari. Sans tenir compte des motifs légitimes de mésin-
telligence qui existaient entre eux, il lui décernera cet
éloge :
C estait portia la rommaine
En grâce courtoise et humaine
Veu qu'en la sorte a sceu ajymer
Que si d'amour eust fruict atner
Elle y gousta soub{ patience
Doulceur de nette conscience.
Il est certain que l'accord le plus parfait ne régnait
pas entre les deux époux, et il y est fait allusion dans
une pièce de vers que François 1^^, alors captif à Madrid,
adressait à la comtesse. «' Un vers de cette pièce, dit le
Bibliophile Jacob, laisse entendre que la comtesse n'était
INTRODUCTION. 55
pas heureuse avec son mari, puisque le roi lui souhaite
d'être en la fin bien mariée, ce qui ne signifie pas prendre
un époux digne d'elle, mais de ne plus avoir à se
plaindre du sien. »
« C'est dans le même sens que Marguerite de Navarre
et Clément Marot se sont apitoyés, dans leurs élégies, sur
le triste sort de la mal mariée i » .
Sagon redit la même chose, par son « fruit amer
d'amour. » Mais, si l'on peut accepter l'éloge de la rési-
gnation de la comtesse, on doit trouver que le poète va trop
loin, quand il parle de la « douceur de cette nette cons-
cience », et qu'il dépasse toutes les bornes, quand il ne
prononce pas, une seule fois, le nom de son mari dans
son poème, où figurent tous ceux qui doivent donner des
larmes à la défunte.
Cette attitude de Sagon, vis-à-vis du comte de Chateau-
briand, n'en donne que plus de poids à un autre passage
du poème, pour faire justice d'une légende sur la mort de
la comtesse, accréditée depuis la fin du XVII« siècle, et
dont on a chargé la mémoire du mari. En voici le résu-
mé : « François I ayant été pris devant Pavie, Madame
de Ghâteaubriant demeura exposée à la haine de la
Régente, et à la vengeance de son mari. Contrainte de
chercher une retraite à Ghâteaubriant, elle y fut reçue,
' Cité par M. de Lescure, ibid., p. 178.
56 INTRODUCTION.
mais ce fut sans aucune réconciliation. Il la fit mettre
dans une chambre obscure et tendue de noir, et, au bout
de six mois, « il y entra avec six hommes masqués, et
« deux chirurgiens qui saignèrent la comtesse aux bras
« et aux jambes, et la laissèrent mourir en cet état. Le
« Roi proposa de faire une punition exemplaire des cou-
« pables ; mais une nouvelle inclination (la Demoiselle de
« Heilli, depuis Duchesse d'Etampes), lui fit bientôt
^ perdre le souvenir de sa précédente Maîtresse, i »
Voilà un de ces audacieux travestissements de la vérité,
si fréquents dans l'Histoire de France. Sans rechercher
comment cette légende s'y est introduite, et s'y est per-
pétuée, avec de nombreux accroissements, plus sombres
les uns que les autres, ce que M. de Lescure a fort nette,
ment établis, bornons-nous à dire que l'assassinat, par
cette dramatique saignée, n'est pas plus vrai que le
mystère de la bague et la ruse employée pour faire venir
la dame de Chateaubriand à la cour de François I. Tout
cela est un roman inventé par Varillas, combattu victo-
rieusement par l'avocat Hévin, au XVII^ siècle, et réfuté
plus complètement encore par Dreux du Radier dans ses
Anecdotes, en 17G5. Aussi Varillas mérite-t-il la vigou-
' Cité par Dreux du Radier, Anecdotes, etc., t. III, p. 155, d'après
Je récit de Varillas, Histoire de François I, t. II, liv. VI, sous l'an
J525, édit. de Paris, in-I2, 1685.
* Voir; ibid., tout le chapitre : La Maîtresse l7'agique, pages 127-214.
INTRODUCTION. 57'
relise sortie que le P. Griffet fit contre lui à ce sujet.
« Varillas, qui est encore plus décrié que le P. Maim-
bourg, ment avec plus de sang-froid. Il osait citer des
manuscrits et des pièces originales qui n'avaient jamais
existé ; il imaginait des aventures tragiques dont per-
sonne n'avait jamais entendu parler; entre autres, celle
de la comtesse de Chateaubriand, dont la fausseté a été
démontrée par des monuments authentiques * ».
M. de Lescure, en parlant du poème de Sagon, que
seul il a étudié, a dit, dans l'analyse qu'il en fait :
« Comme le prévoit le poète, et comme il avait raison de
s'y attendre, cette mort imprévue donna lieu à d'étranges
suppositions 2. » Ce passage vise sans doute celui où
Sagon fait dire par Euphrosine, tierce Grâce :
Mes sœurs, la mort de la dame nous blesse
Quant aiiec elle honneur fœminin {mort)
En dueil en peine et en soucy nous laisse
De conformer par gracieux accord
Le différent et maint trouble et discord
Qu'on veoii mouuoir pour la grâce des dames.
Le dieu Momus qui reprent et qui mord
En ceste mort faindra mesdit^ et blasmes.
' Tiailé des différefites sortes de preuve qui servent à établir la vérité
dans l'histoire, )7C9, in-12. — Varillas prétendait avoir emprunté les
éléments de son récit à un Mémoire tiré des a'chives de Chaleaubriant
par te feu président Ferrand.
- Les Amours de François f., p. 20?.
58 INTRODUCTION.
Sagon ne songe nullement à combattre les bruits d'as-
sassinat qui ont pu se produire en Bretagne, mais il pense
à une lutte contemporaine, fort vive alors, où certains
écrivains avaient « mesprise les Dames et detraicte
dicelles », d'après le Jugement poetic de l'honneur femeuin,
déjà connu , quand Sagon écrit ces vers. Pour prévenir
les attaques que la malignité, personnifiée ici parMomus,
pourrait se permettre contre elle, et non contre le mari,
notre poète juge à propos de composer Le Regret dhonnmu
fœminin, où la comtesse va être proclamée « le mirouer
de noblesse fœminine. » L'éloge de ses vertus et de son
mérite n'a pas d'autre but que celui-ci : c'est une perpé-
taelie « antéoccupation * », pour parler le langage de la
ihétorique. Au dénigrement qu'il redoute, il répond
par l'éloge de la comtesse et non par l'apologie du mari,
qui n'est point en cause, ici ni ailleurs, si bien qu'il le
passera complètement sous silence.
C'est par des raisonnements et par des preuves morales,
appuyés sur des pièces de toute nature, que Hévin, le
premier, combattit l'assassinat inventé par Varillas, sans
rien dire sur le genre de mort qui enleva la comtesse.
Sagon, bien avant lui, réduisait à néant les mensonges de
Varillas, exagérés depuis par ses copistes. Il vient d'en-
gager toutes les dames à verser des larmes sur son tom-
beau, et, en guise de conclusion, il ajoute :
^ Voir, plus loin, les notes 16 et 17 sur le texte du Poème.
INTRODUCTION . 59
le VOUS pry donc pour Vaduenir,
Auoir mémoire et souiienir
Qu'a vostre grant desauantage
Ceste dame est morte auant aage,
Et eut tous biens, fors, grande part
De viiire, auant le sien départ
Que mort ou len ne remédie
Luy hasta d'ime maladie.
lia plaie de la comtesse , délaissée par François I,
ne cautérisa jamais bien, pendant les onze ans qu'elle
vécut encore ; car chez les femmes la vie du cœur est
tout, et l'oubli les frappe d'autant plus rudement qu'il
tombe de plus haut. Elle mourut donc, en 1537, à qua-
rante-deux ans, de mort naturelle, à la suite d'une
maladie, et non sous les coups d'un mari irrité, vengeant
son déshonneur, dès 1526, avec des raffinements de
cruauté inouïe.
Si le texte de Sagon avait été connu, il est à croire que
Varillas, Vanel, Pierre de Lesconvel, Mme de Lussan et
M""" de Murât , et quelques autres encore, comme
M. Michelet, n'auraient pas forgé tant d'histoires et de
romans, où la mort de la comtesse est présentée sous les
couleurs les plus fausses et les plus tragiques. C'est une
faute d'égayer l'histoire aux dépens de la vérité : que
doit- on penser de ceux qui ne cherchent qu'à l'assom-
brir, en l'altérant impudemment? Pour être tardive, la
60 INTRODUCTION.
condamnation que leur inflige le texte de Sagon n'en est
pas moins méritée.
C'est à peu près tout ce que l'Histoire peut trouver ù
glaner dans le texte du poème de Sagon. Envisageons-
le maintenant sous le rapport littéraire.
Pour nous, son premier mérite est d'être un écho vrai
de son cœur, comme le seront, du reste, la plupart de
ses autres productions désormais : le Discours de la rie
et mort accidentelle de Guy Morin en vers, 1539 ; YOraisou
funèbre de V amiral Philippe de Chabot, en prose, 1543; la
Complainte des troys gentilzhommes occiz à Carignan, 1544 ;
enfin, les Epit'aphes de la famille de Brie. Un sentiment
intime a inspiré toutes ces pièces, qui se rattachent à
l'Elégie; elles ont jailli du cœur même du poète, quand
la mort frappait l'une des familles qui lui étaient chères.
Le même sentiment l'animait déjà, en 1537 ou 1538,
époque probable de la composition de son œuvre, d'après
certains passages et le tour général du poème. Le Regret
sur le trespas de Françoise de Fo^■J7 procède tout à la fois de
la reconnaissance et de la douleur que sa mort lui a
causée. Là se trouve une page de la vie de Sagon, où il
est heureux de rendre justice aux vertus de la comtesse,
en traduisant ses propres souffrances par des regrets
donnés à sa mémoire, avec autant de sincérité que
d'abandon.
Si le titre de Regret a tout l'air d'appartenir en propre
INTRODUCTION. 61
à Sagon, pour désigner un genre cI'Elégie, que ses con-
temporains appelaient : Déploration, Complainte, Discours
funèbre ou Larmes, il est évident que la personnification
de l'Honneur féminin est empruntée à Jean Bouchet,
l'auteur du lugement poetic de V honneur femenini^ achevé
d'imprimer, à Poitiers, le 1<" avril 1538, et dédié à une
dame qui se rattachait à la famille du comte de Chateau-
briand, « Anne de Laval, espouse et compaigne de très
hault et très puissant seigneur Monsieur François de la
Tremoille. » Le mot de Mirouer du titre se trouvait déjà
depuis longtemps en tête d'une foule d'ouvrages, tant
latins que français. Dès le xin" siècle, Vincent de Beau-
vais avait donné sa volumineuse compilation, en l'appe-
lant : Spéculum historiale. Spéculum naturale, Spéculum
doctrinale. Il serait difficile de compter tous les Miroers,
Mirouers et Miroirs, que son exemple a valus à notre
Littérature.
Là n'est donc pas l'originalité de Sagon. Elle vient
d'un procédé de composition, dont il a donné l'un des
premiers l'exemple, à cette époque, en s'inspirant de
• Bibliothèque nationale, Y. 4636, A. Réserve. I vol. petit m-V. —
Voir la note 16 sur le texte du Poème. — Ce mot plut aux contem-
porains ; car, dix-sept ans après, fut publié : Le Fort inexpugnable de
l'honneur du sexe féminin, construit par Françoys de Billon. On les vend
à Paris, chez Jan d'Allyer, 1555, 1 vol in-4<u
62 INTRODUCTION.
deux écoles littéraires, le Moyen-Age et la Renaissance.
Disciple de l'une, il a été le précurseur de l'autre.
Le Moyen-Age, on le sait, a été fécond en poèmes,
romans et autres ouvrages, où les abstractions philoso-
I>hiques,les personnages allégoriques fourmillent, comme
dans le Roman de la Rose, si fameux à cette époque,
rajeuni ou plutôt défiguré par l'édition que Marot venait
d'en donner, en 1526. Lui-même et son école aimaient
ces personnages imaginaires, auxquels ils passaient ou
bien adressaient la parole, tels que Mercure, Crainte,
Bon Espoir, le Dépourvu, Beau-Parler, Loyauté, Cour-
toisie , Vaillance , etc. C'est à l'école de Marot que
Sagon emprunte son personnage allégorique de l'Hon-
neur, aussi bien que ses dialogues, ses monologues et
ses descriptions, sous la forme de Ballade.îLai, Dizain et
Quatrain, où reviennent des tours et des rimes de Marot.
S'il avoue qu'il « a pris en Politien » le nom de € Gas-
sandre Fidèle », il y a trouvé aussi celui de trois ou
quatre autres femmes célèbres qu'il cite, en leur com-
parant son héroïne. Mais s'il ne parle que de « Cassandre
Fidèle », c'est qu'il a rencontré toutes les autres chez un
auteur contemporain, Jean Bouchet, auquel il devait
déjà son personnage allégorique de « l'Honneur fémi-
nin. » Ce procureur de Poitiers a cité toutes les femmes
célèbres, depuis Eve jusqu'à Louise de Savoie, dans
tous les pays et dans tous les temps, aussi bien celles
INTRODUCTION. 63
de l'Ecriture sainte que du paganisme, de la double anti-
(fuité grecque ou latine, du christianisme et de la France,
depuis le Moyen-Age jusqu'à la Renaissance. Il les fai-
sait parler, la plupart du temps, en vers de dix syllabes,
où le croisement des rimes est fort régulier. Sagon, dans
cette innombrable galerie, n'a eu qu'à choisir les noms
des célébrités auxquelles il lui plaisait de comparer la
comtesse de Chateaubriand.
Sagon n'a donc rien inventé de ce côté. L'originalité est
plutôt dans un procédé de composition qu'il employa,
l'un des premiers, à l'époque de la Renaissance, le désir
de mêler la science de Tantiquité à ses élucubrations
poétiques. De ce côté l'on peut dire, pour employer la
pittoresque expression de Chateaubriand, que Sagon
« courut l'un des premiers sur la pente du siècle. » A
l'époque où il écrivait son Regret, les chefs-d'œuvre litté-
raires de la Grèce et de Rome, remis en lumière, avaient
inauguré la Renaissance, et de l'admiration de l'anti-
quité quelques auteurs français allaient bientôt passer
à l'imitation.
Le choix des trois Grâces, Pasithée, Egialée et Eu-
phrosine, qu'il introduit dans son poème, tranche aveiî
les personnages allégoriques du Moyen Age et nous fait
penser à la Grèce.
Veut-il louer l'esprit et les qualités morales de la
comtesse de Chateaubriand, il va chercher ses termes
6-4 INTRODUCTION.
de comparaison dans la double antiquité grecque et
latine.
Ayant donc loy de faire exemple
le n'eii^ onc matière si ample
A prouuer descript ancien,
c'est-à-dire à invoquer l'autorité des anciens auteurs. Il
prouve qu'il les connaît, en voyant successivement en
elle, pour ses vertus, Aitémise. Laodamie, Lucrèce,
Pénélope, Didon, Porcia ; pour Fesprit et la science,
Gornelia, Lélia et la fameuse Gassandre Fidèle de Poli-
tien ; enfin, pour le goût de la poésie, Saplio, Myia et
Télesille.
Cette agglomération de noms propres ne va bientôt
plus lui suffire, quand Honneur lui aura dit :
Employé encor ici ta muse,
Et déclare en stille bening
Par grâce, en ton esprit infuse,
Le miroer dhonneur fœminin.
C'est alors qu'il étale, avec complaisance, un grand
luxe d'érudition, puisée dans les deux antiquités, d'abord
pour a exposer la matière du miroer, » et puis pour
« déchiffrer le miroer plus haultement. » Il invoque tour
à-tour « les philosophes naturels » et surtout « Pline
INTRODUCTION. 65
l'ancien », dont les œuvres, imprimées, à Rome dès 1475,
jouissaient d'une si grande autorité au xvi' siècle. Sagon
le cite, comme le feront bien souvent Rabelais et Bran-
tôme. Il rappelle aussi les noms de Tibère, Praxitèle,
Pompée, et fait allusion à des passages de TertuUien et
de Pausanias.
Une dizaine d'années avant que Joachim Du Bellay
publiât (1549) le programme d'où sortit l'école de Ron-
sard, Sagon était donc bien convaincu que « le moyen
d'enrichir et illustrer nostre vulgaire (la langue fran-
çaise), étoit l'imitation des Grecz et des Romains. » Dans
ce poème du Regret, il avait mis en pratique lune des
recommandations que ce réformateur de notre poésie
fera plus tard : « Ly^ donques et rely premièrement,
0 poëte futur, fueillette de main nocturne et journelle les
exemplaires grecz et latins, puis me laisse toutes ces
vieilles poésies francoyses aux Jeux Floraux de Tou-
louze et au Puy de Rouan : comme rondeaux, ballades,
vyrelais, chantz royaultz, chansons et autres, telles epis-
series qui corrompent le goust de nostre langue, et ne
servent si non à porter temoingnaige de notre igno-
rances » En sa qualité de poète de transition, Sagon a
conservé les formes de poésie qui l'avaient fait triom-
pher au Puy de Rouen, le Lai et la Ballade ; mais il a
' La Deffeme et Illustralion Je la Langue françoyse. Réimpression de
1839. Pages ici8, 109 et 110.
9
es» INTRODUCTION.
montré aussi qu'il consultait les ouvrages des auteurs
(le l'antiquité, Pline, Tertullien, Lucien, etc. Bien que
touché l'un des premiers du souffle de la Renaissance
pour l'ensemble de son œuvre, il restait encore, par
quelques côtés, de l'école de Marot. Toutefois, c'est bien
un précurseur de Ronsard et de la Pléiade, que nous
avons en lui.
Le texte de ce poème peut servir aussi à marquer une
nouvelle étape du français. Etant écrit dans la première
moitié du xvp siècle, où se termine la partie archaïque
de la langue, il sert de transition enti-e elle et Tàge clas-
sique. Ce n'est plus le français du Moyen -Age, mais un
français où le latin domine, en s' acheminant vers la
langue de Malherbe et Descartes. On y saisit les modifi-
cations graduelles que Sagon a introduites ou pour le
sens ou pour le matériel des mots, devançant encore
Joachim Du Bellay dans ses conseils sur ce point. « Ne
crains donques, poëte futur, d'innover quelques termes,
en un long poëme principalement, avecques modestie
toutefois, analogie et jugement de l'oreille, et ne te sou-
cie qui le trouve bon ou mauvais, espérant que la posté-
rité l'approuvera, comme celle qui donne foy aux choses
douteuses, lumière aux obscures, nouveauté aux an-
tiques, usaige aux non accoutumées et douceuraux aspres
et rudes i » De là sont venus, avant le précepte de ce
' Id-, ihi.l., p. !1G.
INTRODUCTION. 6?
réformateur, ces mots forgés îi nouveau et dérivés d'une
source toute latine, tels qne : < Balsme, amœnité, luunde
('pur], relucence, macule, crassitude, cautelle, novalité,
nombre, etc. » »
Mais c'est dans la versification surtout que Sagon so
montra un novateur heureux et intelligent, pour la
césure du décasyllabe, et pour remploi de la rime.
Jusqu'au temps de Sagon, o l'ancien décasyllabe français
se présente sous deux formes : il est à césure ou sans
césure. La césure, quand elle existe, est placée à la qua-
trième syllabe, ce qui est le cas de beaucoup le plus com-
mun, ou elle l'est à la sixième. • . Ces deux modes de
versification traitent la césure comme la fin duver.s, c'est-
à-dire qu'une syllabe muette, quand elle s'y trouve en
plus, ne compte pas 2.» On appelait cela» des coupes fémi-
nines. » Notre poète n'admet pas, dans ses décasyllabes,
de syllabe muette à Thémistiche, à moins de l'élider,
non plus que la césure à la sixième syllabe. Chez lui,
elle se trouve toujours après la quatrième, à la fin du
premier hémistiche, donnant ainsi l'un des premiers
l'exemple qui a fait loi plus tard. C'est un procédé de
versification qu'il doit peut-être aux entretiens de la
comtesse de Chateaubriand. Comme elle l'avait pratiqué,
• Voir aussi l'Averti ssement, p. v.
' M. Liltré. Complément de la Préface de son Dictionnaire de l\
Langue française, p. xliv.
68 INTRODUCTION.
pour son compte, dans les vers qu'elle adressait à
François I, pourquoi n'en aurait-elle pas fait part à Sagon,
qui
l'ouït par plusieurs foy s y
Parler de plus haulte pratique
Que Sapho en l'art poétique?
C'était une innovation, puisqueMarotn'observait pas cette
règle dans ses Opuscvles de l'Adolescence, comme il en fait
l'aveu, en 1530, en parlant de « la première Eclogue des
Bucoliques Virgilianes translatée (certes) en grande
ieunesse : comme pourrez en plusieurs sortes cognoistre :
mesmement par les couppes féminines : lesquelles je
n'observois encore alors : dont lan le Maire de Belges
[en les m'apprenât) me reprint t » . Sagon non plus ne les
avait pas toujours observées.
Pour la rime, il. a le grand mérite d'appliquer une
règle, dont il n'est pas l'inventeur, et plus rigoureuse -
ment qu'aucun des poètes contemporains, à commencer
par Marot lui-même. Ses rimes sont ou plates ou croisées,
et très rarement redoublées, et il s'astreint, presque tou •
jours, à faire succéder les rimes masculines aux rimes
' ŒuvKES DE Marot, édition de Niort, 1596. Epitres liminaires. —
Jean Lemaire, dit de Belges (Bavai) en Hainaut, né en 1473, est au-
teur de Trois Livres des Illustrations de Gaule Belgique, 1512, de poésie?
et de quei<iues autres ouvrages.
INTRODUCTION. 69
féminines, sans mettre de suite trois ou quatre rimes
masculines ou féminines, à l'exemple des autres poètes
de cette époque. Ce procédé de versification , Jean
Bouchetle recommandait, en 1537, à un poète normand,
«Baptiste Le Chandelier, conseiller du Roi, en sa court
de Parlement de Normandie :
Je treuue beau mettre deux femenins
En rime plat te, avec deux masculins,
Semblablement quand on les entrelasse
En vers croise!{\
Ainsi avait déjà fait Sagon dans l'Epître adressée à ce
même Bouchet pour l'attirer dans son parti, lors de sa
fameuse querelle contre Marot 2. M. Sainte-Beuve a donj
eu tort de dire : « Le premier, après Jean Bouchet,
Ronsard adopta l'entrelacement régulier des rimes mas-
culines et féminines, et en fit incontinent un précepte
d'obligation par son exemple s ». La comtesse de
Chateaubriand, avant Bouchet, et Sagon, en même temps
que lui, observaient déjà cette règle de prosodie, bien
avant Ronsard.
On voit donc que, sous le rapport de la versification, le
' Epistres FAMILIERES DU Trauerseur. Epistrc CVII, feuillet Ixxij.
* Ibid. Epistre CVT, feuillets Ixx et Ixxij.
^ Tabli au de la Poésie française au XVI^ sucle, t'ijit. de 1843, p. 77.
W INTRODUCTION.
poème de Sagon a encore des mérites qui le distinguent
des autres poètes de son siècle, et que là aussi il sert à
marquer un âge de transition, comme pour son mode de
composition et pour la langue.
Arrivons aux défauts de notre auteur. Nous n'aimons
guère cet étalage d'érudition fastueuse, cette affectation
de science pour justifier l'interminable allégorie du
Miroir, aussi subtile que frivole. Sa longue tirade
de 130 vers (le cinquième du poème), où il s'évertue « à
exposer la matière du miroer », et où il se reprend « pour
déchiffrer le miroer plus haultement », était peut-être, à
ses yeux, le morceau capital de son œuvre. Aux nôtres,
elle est hors de proportion avec le reste, et nous lui
reprochons encore de s'y être abandonné trop facilement
au courant de la poésie descriptive.
On peut être aussi tenté de sourire, en lisant les noms
de ces douze ou treize femmes célèbres de tous les pays
ou de tous les temps, auxquelles il compare, pour une
qualité ou pour une autre, la comtesse de Chateaubriand,
en épuisant, pour exprimer son admiration, toute la
série des métaphores qu'elles lui suggèrent. Il devient
ainsi un panégyriste plus enthousiaste que véridique.
Enfin il semble s'être abandonné à une admiration
irréfléchie, et, cédant aux élans de son imagination et de
son cœur, il a dépassé la juste mesure de l'éloge, l'exa-
gération du senliment ayant son contre-coup dans le
INTRODUCTION. 71
style souvent alambiqué. Là est le côté excessif du poème,
surtout si l'on est de l'avis de Buffon : « Le papier, ce me
semble, ne peut recevoir l'empreinte de ce qui se grave
au fond du cœur, on n'y trouve que le produit de l'esprit
et non les sensations de l'âme. » (Lettre à M"»" Necker,.
Montbard, 23 juillet 1759.)
Dans la versification, il a des défauts qui passaient
pour des beautés, de son temps, c'est-à-dire des verg à
rime équivoquée et h rime batelée i . Il partageait la fausse
idée des versificateurs contemporains. « Pour relever des
vers que la pensée ne soutenait pas, on s'imposait des
entraves nouvelles qui, loin d'être commandées par la
nature de notre prosodie, en retardaient la réforme et ne
laissaient place à nul agréments »,
Cette œuvre de Sagon, presque inconnue, si complète-
ment inédite que personne n'en a cité un seul vers, a
cependant été l'objet de l'analyse sommaire que voici :
« Sagon, dans son poème funèbre, dit M. de Lescure,
célèbre surtout l'esprit de Françoise de Foix, qu'il met
au rang des femmes les plus brillantes et les plus ins-
truites de son temps. Il daigne à peine louer ce corps
dont la mort vient d'attester la fragilité. Il se rabat sur
' Ces termes seront expliqués, dans les Notes^ lorsque le texte offrira
lie ces sortes de vers.
' M. Sainte-Beuve, Tableau de la Poésie française au XVI' mde,
page 18.
72 INTRODUCTION.
les mérites de l'âme immortelle qui lui survit. Son allé-
gorie du miroir d'honneur féminin se poursuit minutieuse-
ment et laborieusement pendant quinze cents vers,
qui ne valent pas pour nous un mauvais croquis de
peintre ».
Disons tout de suite que le péché de Sagon est presque
moitié moins considérable qu'on ne le suppose, puisque,
de compte fait, le poème proprement dit a 681 vers, au
lieu des 1 ,500 qu'on lui prête.
« Françoise deFoix, dit-on encore, d'un esprit compré-
hensif et délié, curieuse de savoir, avide d'une gloire
supérieure à celle de la beauté, possédait les langues
étrangères (sans doute l'espagnol et l'italien), inventait
des devises ingénieuses, écrivait des lettres agréable-
ment tournées, s'exerçait, sans trop de gaucherie, au
délicat instrument de la poésie, et était d'une conver-
sation facile et enjouée ».
Sagon dit positivement qu'outre sa langue maternelle.
Elle auoit ces deux ioinct\ ensemble,
Vng moyen langage latin
A l'italien de Laertin,
Et pour vng tiers et beau langage,
Parlait espaignol dauantage.
Quant à la poésie, au lieu de « s'y exercer sans trop de
gaucherie », elle y excellait. Le jugement plus favorable,
INTRODUCTION. 73
porté par le bibliophile Jacob, se trouve confirmé par
celui de Sagon, qui entendit
plusieurs fqys
La dame Francqyse de Foix
Parler de plus haulte pratique
Que Sapho en l'art poétique.
Enfin, M. de Lescure, reprenant un peu plus loin
l'analyse du poème de Sagon, en cite le titre in extenso
et le fait suivre de cette remarque : « Nous ne réveille-
rons pas cet essaim de rimes qui dorment dans les
limbes des manuscrits de Cangé. Nous nous bornerons
à relever, dans la composition dialoguée de Sagon, quel-
ques détails qui donneraient à penser que la jeune com-
tesse de Laval, nièce de Françoise de Foix, n'était pas
distante de sa tante, quand la mort la ravit de ce ter-
restre val et que la véritable cause de cette mort fut une
maladie subite et rapide i . » C'est là qu'il faut regretter
l'absence de toute citation des vers si formels de notre
poète.
Plus audacieuse, notre Société, trouvant dans ce poème
l'œuvre d'un Rouennais, a fait voir le jour « à cet essaim
de rimes qui dormaient dans les manuscrits de Gange »
Pour seconder son zèle, nous avons cherché, avant tout,
' Les Amours de François I" , pages 157 et 202.
10
74 INTRODUCTION.
comment les vers de Sagon pouvaient devenir les auxi-
liaires de sa biographie, de l'histoire anecdotique et lit-
téraire. « De cette façon, ces pages mortes ou incolores
en apparence se trouvent éclairées d'un jour nouveau.
Pour les œuvres secondaires, c'est la seule manière de
les ramener à la vie. » Ainsi l'avait fait avec succès un
écrivain qui avait dû étudier une foule d'œuvres et d'au-
teurs inconnus du siècle de Sagon i, et nous avons jugé à
propos de suivre sa méthode.
De plus, notre Société aura le mérite d'ajouter un
nom à la série des poètes normands du xvi* siècle, dont
elle a publié les œuvres. Le Regret de François Sagon,
leur devancier, se joint tout naturellement aux Fables de
Guillaume Haudent (1547) et aux Elégies de Jean Doublet
(1559).
En lisant le Regret de Sagon, on comprendra mieux
les éloges donnés par un poète contemporain aux poètes
de la Normandie, dans sa curieuse Epistre a monsieur
tnaistre Jacques le Heur grant poète demeurant a Rouen, fai-
sant metion d'amitié nouuelle qui se peut entretenir mieulx en
absence qu'en p7ice (présence). Il dit donc, en 1537 :
Et de tous ceulx de la terre de France
Me semble adiiis (ie le djy sans oultrance)
• M. C. Lenient, La Satire en France au XV l^ siècle, Préface, p. ni.
INTRODUCTION. 75
Que les Normans ont des Muses l'octroy
De poésie, ainsi le pense et croy,
Car ie n'ay veu de plus aisé langage,
Ne plus fluent, tant soit graue l'ouurage'.
A Le Lieur, Le Chandelier et Le Parmentier, que sui-
vront bientôt Guillaume Haudent et Jean Doublet,
Bouchet joignait certainement notre poète; car son
Epistre de l'acteur respomiue a celle de Sagon, porte en
subscription :
Va lettre va declairer ton iargon
A l'orateur maistre Francoy Sagon.
Pour tous ces motifs, la Société des Bibliophiles
NORMANDS a Sagement fait de mettre au jour le poème
inédit d'un Rouennais, et, fidèle à son principe, elle
peut bien répéter, une fois de plus, avec Ovide, pour
sa justification, s'il en était besoin :
Et plus est patriœ facta referre labor.
' Epistres FAMILIERES DU Tradersecr. (1545). Epistrc CVIII, feuil-
let Ixxii, verso.
76 INTRODUCTION,
III . — BIBLIOGRAPHIE DES ŒUVRES DE SAGON,
Le premier bibliographe de notre poète a été La Croix
du Maine, auquel on doit quelques indications incom-
plètes et sommaires, dans sa Bibliothèque française (1584).
Celles de la Bibliothèque d'Antoine Duverdier, contenant le
Catalogue de tous les auteurs qui ont écrit ou traduit en
françois (1585), sont un peu plus complètes. Dans son
Athenœ Normannorum (manuscrit, 1720), le P. François
Martin reproduit imparfaitement La Croix du Maine ,
qu'il traduit en latin, sans trop se préoccuper de la
chronologie!. La Bibliothèque française de l'abbé Goujet^
tome XII, pages 424-426, renferme un catalogue des
œuvres de Sagon, bien plus complet que celui de ses
prédécesseurs. Il s'y trouve, comme Pièces justificatives
de la Huitième partie de son ouvrage traitant des Poètes
FRANÇOIS. La Biographie normande d'Adrien Pasquier ,
manuscrit de la Bibliothèque publique de Rouen, t- VIII,
' Nous n'en remercions pas moins M. Julien Travers, le savant
conservateur de la Bibliothèque publique de Caen, d'avoir bien voulu
transcrire et nous envoyer l'article du P. Martin sur Sagon.
INTRODUCTION. 77
l'a reproduit, aussi bien que l'article de l'abbé Goujat,
sans y changer un seul mot. M. Frère, qui parait ne pas
avoir consulté ces sources, est plus incomplet encore.
Comme nous avons eu la bonne fortune do rencontrer
presque toutes les éditionjs originales des œuvres de
notre auteur, c'est d'après elles que nous donnerons sa
Bibliographie, en respectant scrupuleusement l'ortho-
graphe des premiers éditeurs, ce qui n'a guère eu lieu
jusqu'ici, et en indiquant la mise à la ligne par un trait
oblique, sans reproduire toutefois les différents carac-
tères des titres. Enfin nous suivrons l'ordre chronologique,
en faisant observer que la date de l'impression, quand
elle est donnée, est rarement celle de la composition.
I. — Le Covp desjsay de Francoys de/Sagon secretaij^c de
l'abbe de I Sainct Eburoul. Contenant / la responce a deuxj
cpistres de / Clément Marot retire a Ferrare. / L'une adres-
sante au Roy très chrestien- / L'autre a deux damoijselles
.seurs./ Vêla de quoy. / Auec vne Responce a celuy qui a es-
cript I que l'imprimeur de ce présent Hure / auoit beaucoup
perdu l'impres/sion diceluy./ Les semblable? sont a vendre/
a Paris a l'enseigne du pot / casse. /
Le titre se poursuit ainsi au verso :
Auec vne epistre faicte par iceluy secre / taire aux trois
princes et enfans de Fran/ce, Et deux ckantz royaulx en la
fin. I L'ung a la louenge dicelluy roy très chres l tien. L'autre
78 INTRODUCTION.
a la confusion de l'oppinion/ perverse d'aucuns modernes. Le
tout ad/ dresse par prologue au roy.
(Paris, Bibliothèque de l'Arsenal, 1 vol. in-8'. 6427 A.)
Il n'y a ni date ni lieu d'impression, mais le Coup
d'Essay est de 1536, et il a 27 feuillets non numérotés.
Il vient en tète de quatorze autres pièces, tant de Sagon
que de ses adversaires, dans sa querelle avec Marot,
les unes de 1536, les autres de 1537.
Voici celles dont Sagon est encore l'auteur :
IL — Le Rabais du I caquet de Fripelippes et de Marot
dict / Ra.t PELE adictione auec le couuert. I Faict par Mathieu
de Boutigni pai / ge de maistre François de Sagon secre / taire
de tabbe de Sainct Eburoult.
Sans date ni lieu d'impression ; 19 feuillets non numé-
rotés.
Au milieu du titre, sur le recto, se trouve une vignette
sur bois, représentant, à gauche, un animal avec cette
légende : M. Rat pelé Marault, allusion doublement inju-
rieuse à Marot rappelé de son exil de Ferrare. De l'autre
côté e?t un Sagouin qui déchire le Rat pelé, sous les yeux
de Fripelippes. Le Rat pelé étsiit la représaille du Sagouin
inventé par Marot-Fripelippes,
III. — Epistre a / Marot par Fran / cois de Sagon pour luy
montrer que / Fripelippes auoit faict sotte côparaison j des
quatre raisons du dict Sagon a quatre j oysons.
INTRODUCTION. 79
Au centre du titre est une vignette sur bois, représen-
tant une sorte de chapelle voûtée, ayant vue sur la cam-
pagne. Au milieu^, et debout, se trouve un prêtre, eu
bonnet carré, devant un pupitre supporlant un gros
livre, un doigt de la main droite sur la bouche, et l'autre
main derrière le dos. Au bas de la vignette, sont les
mots Vêla de quoy, devise de Sagon.
A la fin des J5 feuillets, on lit : Au palais par Gilles
Corrozet et lehan André 1537.
Une note manuscrite, placée sur le verso de la garde,
en face du titre de la première pièce, Le Coup d'Essay,
montre bien la valeur du Recueil , composé de toutes
pièces originales.
« Toutes ces pièces ont été réunies dès 1538 en 1 vol.
« in-16 sous le titre de Marot, Sagon et la Hueterie. Ce
a même Recueil a été reimprimé en 1539. Les Recueils
« peuvent contenir quelques pièces de plus que ce qui
« se trouve dans ce volume cy ; mais ce sont icy les
« pièces originales avec quelques gravures facétieuses
« qui ne sont pas dans les Recueils.
« François Sagon étoit curé de Beau vais. Il a survécu
« à Marot puisqu'il vivoit encore en 1559 »
Les deux erreurs du dernier paragraphe ont été réfu-
tées plus haut (p. 35-37). Mais on voit que Lenglet du Fres-
noy, dans son édition des Œuvres de Ck'ment Marot, etc.,
avec les Pièces du différent de Clément avec François Sagon,
80 INTRODUCTION.
A la Haye, chez P. Gosse et J. Neaulme, m.dgc.xxxi.
4 vol. in-4° , n'a pas connu les pièces originales du raris-
sime Recueil de la Bibliothèque de l'Arsenal, imprimées
en 1536 et 1537. Le titre général des 42 pièces réimpri-
mées, grandes et petites, le prouve : Recueil des Pièces du
différent entre Clément Marot , François Sagon et la Hueterie :
Avec les Apologies pour et contre, sur l'imprimé in-16.
Paris 1538 et autres éditions. Il en a été de même de
ses prédécesseurs, La Croix du Maine et du Verdier, de
son successeur, l'abbé Goujet, et de tous leurs copistes.
C'est de la réimpression de 1538 que viennent les nom^
de lieu et d'impression donnés par certains biblio-
graphes n'ayant pas vu ces pièces originales.
IV. — Le Dis I covrs de la vie et / mort accidentel j le de
noble homme Guyj Morin, tradvctevr j de ce présent, Prepa-
ratif à j la m,ort, par Francoys l de Sagon, secret I taire son
rray I amij. 1539.
(Paris. Bibliothèque nationale. Y. 4481. A. Réserve.)
C'est un petit volume in-16, relié en maroquin rouge, et
commençant au feuillet 101, parce que les feuillets pré-
cédents contenaient le Préparatif à la mort, ou traduction
du Traité de la préparation à la mort, composé en latin par
Erasme. Pour honorer Guy Morin, tué devant Turin, en
1536, Sagon avait fait imprimer cette traduction, en y
ajoutant son Discours en vers, contenant l'historique de
la vie de son ami.
INTRODUCTION. 8l
Ce Z)iscowrs va du feuillet 101 à 127, et, sur le titre
général, on lit : « Paris, Jean Longis, 1539. » C'est le
nom du libraire. Celui de l'imprimeur est donné par la
Bibliothèque française d'Antoine Du Verdier, qui dit : « Im-
primé à Paris 16" par Gilles Corrozet. 1539. » — (Edit.
del585, in-f,p. 412).
Mais ce n'était pas là l'édition princeps, puisque la
Bibliothèque française de l'abbé Goujet, t. XII, p. 424,
porte que ce Discours vient « h la suite du Préparatif,
etc. Imprimé par maistre Olivier Mallard, libraire et impri-
meur du Roy, pour Galiot Dupré, 1537, in-16. »
Il y eut encore, plus tard, une autre réimpression à
part du Discours, comme le constate le Manuel du Libraire
par Brunet : « Discours de la vie et mort accidentelle de
noble homme Guy Morin. Denys lanot, 1544, in-8°. —
Cette pièce a aussi été imprimée avec le Préparatif â la
mort traduit d'Erasme par Guy Morin. »
Dans ce même volume de la Bibliothèque nationale,
qui passe du feuillet 127 au feuillet 249, vient l'ouvrage
suivant de Sagon, mais en prose, que nous n'avons vu
mentionné nulle part.
V. — Oraison fun/ebre, faicte / par le mesme avtheur / es
exeques de feu messire Phi/ lippes de Chabot, grand ad/ mirai
de France, de / Bretaigne et de Guyenne.
Philippe de Chabot, connu sous le nom d'Amiral de
11
82 INTRODUCTION.
Brion, mourut le l" juin 1543. C'est donc postérieure-
ment au Discours, publié dès 1537, que cette Oraison
funèbre fut imprimée. Elle va du feuillet 249 au feuil-
let 263.
VI. — La Complainte/ de troys gentilz / hommes Françoys,
occiz et mortz au voyage de Car/rignan; bataille et iournée
de Ci / rizolles, par Françoys de Sagon. Auec privilège du
Roy.j 1544. j De l'imprimerie de Denys lanot. Imprimeur/
du Roy en langue Françoyse, et libraire I iuré de V Vniversite
de Paris.
(Paris. Bibliothèque nationale. Y, 4486. A. Réserve )
Le privilège fut « donné à Paris le xij iour d'Apuril
mil cinq centz quarante et troys.
« Et fut acheué d'imprimer ce ditliure le xxiii* iour de
May; mil cinq centz quarante et quatre. »
Petit in 8°, réglé eu rouge, dont le foliotage manuscrit,
commençant au feuillet 161, va jusqu'au feuillet 204,
preuve évidente que cet ouvrage a été détaché d'un autre,
à la suite duquel il se trouvait primitivement placé. —
Le Manuel de Brunet dit : « Petit in-8° de 44 fî. »
VIL — Le Triumphe/ de grâce, et preroga / tiue d inno-
cence originelle, sur la/ conception & trespas delà/ Vierge
psleue mère/ de Dieu, / composé par Sagan.
1544.
INTRODUCTION. 83
« On le vend a Paris en la grande salle/ du palais, au
premier pillier, par / Jehan André, libraire iuré de /
rVniversité de Paris. »
(Paris. Bibliothèque de l'Arsenal. N-SOSS.)
Petit in-8<», relié en veau, sans pagination et composé
de 52 feuillets non chiffrés. Au verso du titre se lit
l'Approbation de la Faculté de Théologie de Paris, en
latin, à la date du 29 mai 1544, signé : I. Fournier. Le
Permis d'imprimer accordé à M. Francoys Sagon, le 27
juin 1544, porte la signature de I. Morin. A la tin du
volume, on lit : « Imprimé à Paris par Benoist Preuost,
Imprimeur demeurant en la rue Frementeil , près le
collège du Plessis. Faict le ix® iour d'aoust. Pour lehan
André Libraire Iuré de l'Université de Paris. 1544. »
A la suite vient, sous un second titre :
Vni. — Recveil moral dav / cvns Chantz Royaux, Balades
et Ron/ deaulx, de Sagon, présentez et premiez / a Rouen, a
Dieppe et a Caen, Par I luy adressé a vénérable reli / gieux
Domp Richard / Ango, prieur de / Beaunwt en/ Auge sonj
oncle. I
Un exemplaire du livre rarissime, contenant le Trium-
phe de grâce, etc., et le Recueil moral, etc., s'est trouvé
dans la bibliothèque de M. Germain Barré, curé de Mon-
ville, d'où il est passé dans celle de M. Thomas, avocat,
qui l'avait prêté à M. Ballin, auquel on en doit une ana-
84 INTRODUCTION.
lyse et des citations, avec la reproduction des titres dans
leur disposition primitive i .
Comme l'existence d'un second exemplaire de ces
opuscules, à la Bibliothèque nationale, peut avoir quel-
qu'intérêt pour des bibliophiles, des littérateurs ou de
simples amateurs de l'histoire littéraire de la Normandie,
nous nous sommes fait un devoir de signaler le fait,
l'autre exemplaire connu se trouvant entre des mains
particulières, après la vente des livres de M. Thomas,
l'ancien possesseur de l'exemplaire du curé de Monville.
Le Manuel de Brunet en a fait l'objet de la remarque
suivante : « Ce volume est le plus rare peut-être de ceux
qu'a publiés l'auteur, Il y en a un exemplaire porté dans
le catalogue de Lavallière, par Nyon, IV, n" 14065 ; un
autre est décrit par M. Frère, Manuel du Bibliographe
normand, II, p. 493. » Celui de la Bibliothèque nationale
serait-il un troisième exemplaire ?
IX. — Epitaphes de la famille de Brie de Serrant, qui se
lisent dans la chapelle du chasteau de Serrand en Anjou (par
Sagon), dans les Remarques de Gilles Ménage, dans la Vie
de Pierre Ayraut.
(Bibliothèque françoise de l'abbé Goujet, tome XII,
p. 425.)
1 Deuxième suite à la Notice historique de l'Académie des Palinods, par
A. -G. Ballin, archiviste. Rouen, 1844, pages 12-18.
INTRODUCTION. 89
Elles sont comprises, en effet, dans les Vies de Pierre
i4yraM/f, juiisconsulte célèbre, lieutenant criminel (1568),
puis lieutenant général au présidial d'Angers (1589), et
de Guillaume Ménage, avocat du roi à Angers, écrites en
latin, par Gilles Ménage, leur petit-fils et fils, sous ce
titre : Vitœ Pétri ^Erodii qiiœsitoris andegavensis et Ckiillelmi
Menagii advocati regii andegavemis. Scriptore .Egidio Me-
nagio. — Parisiis apud Ghristophorum Journel, via Ja-
cobgeâ sub signo Sancti Johannis. mdg.lxxv. Cum per-
raissu. 1 vol, in-4°.
La Bibliothèque nationale en possède un exemplaire.
L 27/n 855,
Dans les Epistres familières du, Trauerseiir t ^ 1545, in-f»,
en vers français de dix syllabes, dûs à la plume de Jean
Bouchot, procureur de profession, à Poitiers, mais his-
torien et poète des plus féconds, caché sous ce nom bi-
zarre de « Traverseur des voyes périlleuses, » nom pris
d'un de ses poèmes intitulé : Les Reynards traversans les
périlleuses voyes des folles fiances du monde (1503), se trouve
une Epitre de notre auteur, la cix", dont voici le titre et
le sujet :
X. — Epistre de maistre Francoys de Sagon cul ré de Beau-
uais au dict acteur, p. laquelle/ se complainct d'vne faulse
amytié per/ due, et veult a luy atraire le dict acteur.
' Bibliothèque nationale, Y. 4o40. (Réserve.)
86 INTRODUCTION.
Elle n'a pas moins de 86 vers, qui occupent le feuillet
Ixxiij. Le fond en est assez plat, et la versification en
rimes plates, avec croisement régulier. Il écrivit contre
Germain Colin, qui avait abandonné Sagon pour Marot.
Notre poète désire le remplacer par Jean Bouche t, dont
il sollicite l'amitié dans sa lutte contre Clément Marot.
Mais la réponse ne dut pas lui plaire ; car l'Epitre GX
est intitulée :
Epistre de l'acteur respôsiue a celle de Sagon, ou il se dé-
claire neutre i .
Elle est aussi en vers de dix syllabes, au nombre
de 112.
Voici d'autres ouvrages de Sagon, que nous n'avons
pu retrouver dans les diverses bibliothèques de Paris,
mais que Du Verdier a signalés, cinquante ans seule-
ment après la mort de notre auteur.
« François Sagon a escrit en rime françoise :
XI. — « Apologie en défense du roy très chrestien François
premier du nom fondée sur texte d'Evangile, contre ses enne-
mis et calomniateurs.
« Impr. à Paris 8° par Deny lanot 1544. Commençant
ainsi :
1 Même édition, feuillets Ixxiij, verso, et Ixxiiij, recto.
INTRODUCTION. 87
Ouure:{ vostre œil mensongers et Jlateurs,
Preste\ l'oreille, ennemis détracteurs,
Qui pour complaire au gré dufainct Auguste
Tourne:{ en mal Vinnocence du Juste
Close en la foy du Prince de Valois.
« Plus 1 . . . .
XII. — « Le Chant de la Paix chanté par les trois estais.
« Impr. a Paris 8° par Denis lanot 1538.
XIII, — « Le Blason du Pied.
« Imprimé avec les autres blasons anatomiques du
corps féminin, a Lyon par François luste, 1537. »
Ces trois indications sont extraites de la Bibliothèque
d'Antoine Dv Verdier seigneur de Vavprivas contenant le Ca-
talogve de tovs les avtevrs qui ont escrit ou traduit en fran-
çois. — A Lyon par Barthélémy Honorât, m.d.lxvxv.
In-f", p. 412.
Le Chant de la Paix n'est pas un titre tout à fait juste ;
car François I et Charles-Quint, ne pouvant s'entendre
sur les conditions de la paix, convinrent seulement d'une
trêve de dix ans, connue sous le nom de Trêve de Nice
^ Ici se placent : La Complainte de trois gentilshommes, etc. ; Le
Discours sur la vie et mort accidentelle de GuyMorin, etc. ; Le Triomphe de
grâce, etc. ; que nous avons cités plus haut, pages 82 et 80.
«8 INTRODUCTION.
(12 juin 1538), pendant laquelle ils garderaient ce qu'ils
posf5édaient alors.
Quant au Blason du Pied, en voici l'occasion. Marot,
par son épigramme du Beau Tétin^ avait donné à ses amis
(les poètes de son école) l'idée de faire le Blason du Corps
humain : « C'étaient comme des disciples glorieux d'ache-
« ver l'ouvrage du maître. Il est assez curieux que Sa-
« gon, qui n'était pas alors en querelle avec Marot, se
« soit choisi le blason du pied. Sa pièce, d'ailleurs, n'a
« pas été insérée avec les autres i. »
Marot ne l'a pas non plus citée dans l'énumération des
différentes parties du corps que contient l'Epitre : « A
ceux qui, après l'Epigramme du beau Tetin, en feirent
d'autres 2. »
Enfin, La Croix du Maine mentionne aussi :
XIV. — Recueil d'Estrennes dudit François Sagon, pour
l'an 1538, imprimé à Paris audit anz. » — Brunet, Manuel
du Libraire, ajoute : « In-8 de 28 fF., lettres rondes, figures
sur bois. »
C'est celui que l'abbé Goujet, dans '&2i Bibliothèque fran-
çaise^ rapporte à l'année 1539 (nouveau style).
' M. Sainte-Beuve, Tableau de la Poésie française au XVU siècle, édit.
Charpentier, is-is, note 1 de la page 33.
* Bibliothèque française, réimpression par M. Rigoley de Juvigny,
1772, t. I, p. 237.
-' OEuvres de Marot, Niort, 1596, p. 193.
introduction; 89
Mais La Croix du Maine se trompe, quand il dit : « Il
» a écrit le Chant de la Paix, fait entre le roi Henri IL et
« Philippe, roi d'Espagne, imprimé à Paris par Barbé Re-
« gnault ; la Réjouissance du Traité de la Paix en France
« publiée lan 1559 i. »
Si ces deux poésies, destinées à chanter les négocia-
tions pour la paix, ouvertes à Gâteau- Cambrésis (15 oc-
tobre 1558), après la funeste bataille de Saint- Quentin
(10 août 1557), et le traité de paix de Gâteau- Cambresis
lui-même (2b avril 1559), qui mit fin à cette guerre dé-
sastreuse pour la France, portent le nom de François
Sagon, ce ne put pas être le nôtre, mort depuis le mois
d'août 1554, comme on l'a vu plus haut (p. 37).
Il faut attribuer ces deux dernières pièces à l'un des
membres de sa famille, portant le même prénom que
lui, peut-être son frère, prénom que l'on retrouve pen-
dant plus d'un siècle, à Rouen, comme on l'a vu plus
haut. La similitude complète du nom et prénom explique
très bien l'attribution de La Croix du Maine, répétée
depuis par tous ceux qui ont fait la Bibliographie des
œuvres de Sagon, dans l'ignorance où ils étaient de la
véritable date de sa mort (1544) 2. Remarquons toute-
fois qu'Antoine Du Verdier, qui cite un certain nombre
' liibliothèque française, même édition, t. I, p. 237.
- Voir plus haut, page 37.
12
90 INTRODUCTION.
des ouvrages de Sagon, ne comprend pas ces deux der-
niers dans sa liste, bien qu'il écrivît en même temps
que La Croix du Maine.
Désormais, à cette liste plus longue et plus exacte que
les précédentes, il faudra ajouter encore : Le Regret
dhonneur fœminin et des Troys Grâces, presque entière-
ment ignoré, et que la Société des Bibliophiles nor-
mands aura le mérite de mettre au jour, près de trois
siècles et demi après que le Rouennais Sagon l'a com-
posé.
-i
APPENDICES ET PIECES JUSTIFICATIVES
DE L'INTRODUCTION.
I.
(Se rapporte à la page 13).
ï La querelle de Marot et de Sagon a fait autrefois du bruit
comme ils avoient chacun leurs amis, il y eut deux factions, et:
de part et d'autre beaucoup de vers satyriques imprimés en des
Recueils de 1537 et 1539. L'inimitié de ces deux poètes, venoit
de loin. Il est dit dans la petite pièce en vers qui a pour titre :
Le Différent de Marot et Sagon, qu'un jour qu'ils se promenoient
en bonne compagnie dans la cour du château d'Alençon, Marot,
à l'occasion d'un point de religion, laissa échapper un mot que
Sagon traita d'hérétique. Marot, sans s'émouvoir, persista dans
son sentiment, et fit doucement ce qu'il put pour y attirer Sagon;
mais celui-ci tenant bon, et répliquant toujours vertement,
92 APPENDICES ET PIÈGES JUSTIFICATIVES
Mai'Ol rebuté lui dit une parole de mépris ; Sagon lui en rendit
une autre ; ;"i quoi Marot pour réponse nictlant la main au poi-
{inai'd, alloit lui en porter un coup, si Sagon, voyant qu'il ne
seroit pas le plus fort, n'eût pris la fuite. Marot s'étant de-
puis fait des affaires avec la Sorbonne^ et craignant, lorsqu'elles
furent terminées, qu'on ne lui en suscitât de nouvelles, prit le
parti de se retirei" auprès de la duchesse de Ferrare. Ce fut dans
le temps de cet exil, qu'avant, pour se justifier des faits dont on
l'accusoit, écrit une assez longue épître à François I", Sagon,
pour la réfuter, en adressa une plus longue au même Roi, inti-
tulée : Le coup d'Essai. Marot, de retour, ne daignant pas op-
poser à cet écrit une réponse sérieuse, y en fit une, sous le faux
nom de Fripelippes, son valet, où il tourna Sagon en ridicule.
Sagon, de son côté, sous le faux nom de Mathieu de Boutigny,
son prétendu page, y répliqua par l'écrit intitulé Le Rabais du
caquet de Fripelippes, et de Marot. dit Rat pelé, le nommant
ainsi par une équivoque bouffonne, sur ce que Marot se glorifioiî
d'avoir été rappelé de son exil de Fen-are. On peut voir dans les
Recueils que j'ai indiqués la suite de ce démêlé qui dura jus-
qu'en 1538. »
Addition faite par De la Monnaye à l'article François Sagon,
dans Les Bibliothèques françaises de la Croix du Mairie et de
Du Verdier sieur de Vaupriias. Nouvelle édition, par M. Rigo-
ley de Juvigny. Paris, MDCCLXXII. Tome I, p. 238.
DE L INTRODUCTION. V-»
II.
(Se rapporte à la page 40).
« Lettres tic M""' île Chateaiibriant au Roi. — 44.
« Au Roy mon Souverain Seigneur.
a Syre, la lybéralité qu'y! vous a pieu me despartyr de la
brodeure que j'ay reseuee par ce porteur, ne vous puis rendre
gi-aces sufysantes , mes les plus humbles qu'il m'est pos-
syble les vous présante, avecque conefiance de la perpétuelle
servytute et oblyguasion de messieurs de Lautrec, de Chateau-
briant et myenne, de seulx de nos maisons presans et avenyr,
des biens resus de la bonne voullanté que nous faistes l'honneur
m'escrypre qui vous playt avoyr à nous, qui est et peult la per-
fection de nos desyrs. De ma part, syre, ne puis que prier celu>
qui despart les puissances leurs donner l'heur de vous faire sei--
vyces agréables, en lieu qu'il ne cest provenir que de la seuUe
afecsion, de laquelle ly faysrequeste, syre, qui vous doint bonne
vye en longueur très heureuse, et tenyr en vostre bonne grâce
pour très humblement recommandée.
Vostre très humble et très obéissantes subjecte et
servante.
Françoise de Foys. »
a Autre. — 45.
« Syre,conesant l'honneur et bien qu'il vousapleu nie faire de
m'escripre, et mander par ce pourteur que vostre bonté n'est
94 APPENDICES ET PIÈGES JUSTIFICATIVES
lasce de se montrer en mon endroyt, ayant voullanté donner fin
à mes ennuyeux et opportuns afaires, vous mersye non sufisa-
ment, mais le plus très humblement posyble, et pour ne povoier,
suplye celuy qui tant de grâces vous a desparty vous recom-
pancer de celles que davantage vous plera luy demander en la
très heureuse et longue vyeque, seur toutes, vous doynt et veult
desyrer celle qui pour son heur prynsypal vous suply estre à
James l'avoyr et retenyr en vostre bonne grâce pour très hum-
blement recommandée.
Vostre très humble et très obaissante subgecte et
servante.
Françoise de Foys. »
(Poésies du roi François I''^ de Louise de Savoie duchesse
d'Angoule'me de Marguerite de Navarre et correspondance
intime de Diane de Poitiers et plusieurs autres dames de la
cour recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac.
Paris, Imprimerie royale, MDGCCXLVI, in-4°, pages 214 et
215.)
Ces lettres de Françoise de Foix ont été écrites, à une époque
antérieure à la captivité de François I", et nous les donnons
comme spécimen de sa prose. Les vers qu'elle adressait au roi
ont été ainsi jugés : « La comtesse de Chateaubriand écrivait
encore avec plus de délicatesse et d'élégance que le roi. On est
tenté d'attribuer à quelque poète de cour les épîtres respon-
sires, où elle exprime le chagrin que lui causent la prison et
l'absence de son amant. . •
DE l'introduction. 05
Las I si le cœur de ceux qui ont puissance
De vous donner très-brève délivrance
Pouvoit savoir quelle est votre amitié,
Je crois, pour vrai, qu'ils en auroient pitié;
Et que, si tut ne vous veuillent remettre
En ce royaume où vous êtes le maître.
Ils enverraient au moins m'en avertir
Par charité, pour me faire mourir,
Aimant trop mieux en ce jour trépasser
Que sans vous voir tant de saisons passer \,
M. Lcscare, après cette citation ; ajoute : <■<■ Ces vers témoi-
gnent non seulement d'une constante tendresse, mais d'un art et
d'une science de la forme poétique dont Marot lui-même n'a pas
toujours un aussi heureux scrupule. Les vers de la comtesse
observent l'entrelacement régulier des rimes masculines et fémi-
nines, gracieuse innovation prosodique inaugurée par Le Maire
de Belges, à laquelle Marot demeura longtemps rebelle, et dont
il ne porta le joug importun que dans la vieillesse, La prose de
Françoise de Foix est loin d'être harmonieiise.çst fa,cilje comme
ses versa. » i-.ooor i-'i ^^'-.'-mK-r-
On l'a vu par la citation des deux lettres ci-dessus, et ces vers
expliquent les éloges que Sagon donne , au lajl^nt poétique de la
' Cité par le Bibliophile Jacob (Paul Lacroix), Cunosités de l'Hit'
loire de France, 2^ série, Procès célèbres, Delahays, 1858, p. 179,
* Les Amours de François 1", p. I79.
9G APPENDICES ET PIÈGES JUSTIFICATIVES
comtesse, qui a bien pu lui enseigner le procédé de versification,
signalé plus haut et qu'il employait lui-même i .
III.
(Se rapporte à la page 41).
a J'ay ouy conter, et le liens de bon lieu, que, lorsque le roy
François premier eut laissé madame de Chasteau-Briand, sa mai-
tresse favorite, pour prendre madame d'Estampes, estant fille
appelée Helly, que madame la Régente avoit prise avec elle pour
l'une de ses filles, et la produisit au roy François a son retour
d'Espagne à Bordeaux, laquelle il prit pour sa maîtresse, et laissa
la dite mademoiselle de Chasteau-Briand, ainsi qu'un cloud
chasse l'autre ; madame d'Estampes pria le Roy de retirer de
la dite madame de Chasteau-Briand tous les plus beaux joyaux
qu'il luy avoit donnez, non pour le prix et la valeur, car pour
lors les perles et pierreries n'avoient la vogue qu'elles ont eu de-
puis, mais pour l'amour des belles devises qui esloient mises,
engravées et empreintes, lesquelles la Reyne de Navarre, sa sœur,
avoit faites et composées ; car elleen estoil très-bonne maistresse.
Le roi François lui accorda sa prière, et lui promit qu'il le feroit;
ce qu'il fit : et, pour ce, ayant envoyé un gentilhomme vers elle
pour les luy demander, elle fit de la malade sur le coup, et remit
le gentilhomme dans trois jours à venir, et qu'il auroit ce qu'il
demandoit. Cependant, de despit, elle envoya quérir un orfèvre,
» Voir rintroduction, pages 67-70.
DE l'introduction. 97
et luy fit fondre tous ces joyaux, sans avoir respect ni acception
«les belles devises qui y estoient engravées : et après, le gcntil-
lioiiiiiie tourné, elle luy donna tous les joyaux convertis et con-
tournez en lingots d'or. « Allez, dit-elle, portez cela au Roy, et
« dites-luy que, puisqu'il luy a pieu me révoquer ce qu'il m'avoit
a donné libéralement, que ie luy rends et renvoyé en lingots d'or,
« Pour quant aux devises, je les ay si bien empreintes et collo-
« quées en ma pensée^ et les y tiens si chères, que je n'a\ peu
« permettre que personne en disposast, en jouist et en eust de
« plaisir que moy-raesme. » Quand le Roy eut receu le tout, et
lingots et propos de cette dame, il ne dit autre chose, si-non :
« Retournez-luy le tout ; ce que j'en faisois, ce n'estoil pour la
« valeur (car je luy eusse rendu deux fois plus;, mais pour
« l'amour des devises : et puisqu'elle les a fait ainsi perdre, je
« ne veux point de l'or, et le luy renvoyé : elle a monstre en
« cela plus de courage et générosité que n'eusse pensé pouvoir
« provenir d'une femme. » Un cœur de femme généi'euse dépité,
tît ainsi desdaigné, fait de grandes choses. »
Vies des dames galantes par le Seigneur de Brantôme, édi-
tion Garnier, 1841, in-12. Discours VII, p. 337-338.
13
98
APPENDICES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES
IV.
(Se rapporle à la page 42).
(Par Marot).
F. F.
PEU DE TELLES.
F. F.
Soubz ce tumbeau gist Françoise de Foix,
De qui tout bien tout chascun souloit dire :
Et le disant, onc une seule voix
w
Z Ne s'avança d'y vouloir contredire.
o
De grand' beauté, de grâce qui attire,
Q De bon sçavoir, d'intelligence prompte,
p De biens, d'honneurs et mieulx que ne raconipte,
çc Dieu éternel richement l'estoffa.
0 Viateur, pour t'abreger le compte :
Cij gist un rien. là où tout triumpha.
F. F. Décéda le 16 d'Octobre l'an 1537.
n
o
H
«5
F. F.
(Par Nicolas Bourbon l'Ancien).
D. FRANCISCO FQXEJE, CASTRI BRIANTII DOMINA
HEROIDIS INCOMPARÂBILIS.
TUMULUS.
Viator, hoc saxum vide, sta paululum.
Frangisga Fuxea hic jacet, quà non fuit.
DE l'introduction, ^^-^
Dum ririt, altéra melior, nec pulchrior
In Galliis millier, nec relUjiosior .
Ut cui Bem (si \mquam alii Heroidum)
Naturaque omnes prolixe, et large manu,
Dotes animique, corporisque indulserant.
Ossa hic quideni cubant, at felix animula,
Nimc cum suis majoribus, cumque inclyto,
Heroe fratre Lautreco tune fruitur Dei
Prœsentià, œternisque deliciis. Vale,
Viator amice, multuni oculis debes tuis.
Nugarum Borbonii, p 443 de l'édition de 1538.
(Par François I.)
Ici dessous, cy gist, en peu d'espace
De fermeté la montagne et la masse,
En amitié seul chef d' œuvre parfait!
Elle a souffert qu'en son vivant l'aimasse :
O quel record, que le temps point n efface l
L'âme est en haut; du beau corps c'en est fait.
Ici dessous !
Ahl triste pierre! ains as-tu tant d'audace
De m' empêcher cette tant belle face
En me rendant malheureux et défait !
Car tant digne œuvre en rien n'avoit méfait
Qu'on renfermât avec sa bonne grâce
Ici dessous l
100 APPENDICES ET PIÈCES JUSTIF. DE l'iXTRODUCÏION.
C'est M. (le Lescure qui a cité cx'ttt- épitaplie, en la taisant
j)réc(H1er de ces mots : « François I^' paya à cette chère mémoire
son j)oétique et funéraire tribut dans le rondeau suivant. » Les
Amours de François I"', p. 201.
Nous ignorons d'où sont tirés ces vers où le roi affiche si nct-
tciiicnt son amour pour la comtesse de Chateaubriand :
Elle a souffert qu'en son vivant l'aimasse.
Il ne parlait pas autrement dans toutes les pièces qu'il lui
adressait, d'après le Bibliophile Jacob et M. de Lescure, pendant
sa captivité. Ibid. p. 175-180.
LE REGRET
DHONNEUR FOEMININ
et des troys Grâces fur le
trefpas de noble Dame
Francoyfe de Foix Dame de Chafteaubriant
et mirouer de nobleffe fœminine.
Par Francoys de Sagon,
Secrétaire de lAbbe
de Saind Eburoul.
Le regret dhonneur foeminin
& des troys Grâces, fur le trefpas de noble Dame
Francoyfe de Foix Dame de Chafteaubriant, &
mirouer de noblefle Fœminine. ParFrancoys de
Sagon, fecretaire de lAbbe de SaindEburoul. •
L'a6leur. 2
lloNNEURj plains toy, & voas francoyfes grâces,
Gouurez de deuil voz gracieufes faces ,
Pour veoir de cueur voftre mirouer caffe. 3
Honneur vaten par les obfcures traces.
Grâces , fuyez aux rommaines ou thraces^
Rentrer en grâce ainfy qu'au temps pafTe.
France a perdu fon reiglet compaffe, 4
Qui conduifoit nobleffe fœminine
loindre fa grâce a volunte diuine.
Ceftoit Francoife , eflyte perle & choys
De la maifon de Foix tant noble & digne
Que ie ne puis la nommer trop de foys.
Honneur s'addrefTant par ung dizain
aux troys grâces.
Grâces ;, mes fœurs, oyez la trifte voix
Au parc francoys elpartie & femée.
Par les haultz boys desconforter m'en voys 5
4
Si de vous troys dure mort n'efi: blafmée.
La renommée eft, qu'une dame aymee
Eft confommee^ & que mort veult tirer
Sans empirer le mirouer ou mirer e
Deubft afpirer lœil de l'honnefte femme.
Ce tort infâme, a deuil fait attirer
Et foufpirer honneur dung tel diffame.
Pafythea première grâce. 7
Mirouer d'amour, par trop mirer
Honneur, vertu & bonne grâce ,
Faid la perfonne foufpirer,
Quant par la mort le mirouer calTe.
Mais puifqu'un tel miroer de glace
Debuoit ung iour eftre rompu !
Railon n'eft que merueille on face
Dung corruptible corrompu, s
La mefmes grâce foy repnant.
Hal quay ie dict? iay honneur offense
Non d'auoir di6t_, mais feullement penfe
Que mort eu6t loy de corrompre la dame.
Honneur par droict ton deuil efl commence.
Fors que le coup par la mort auance 9
Au gré des dieux peult eftre fai6l fans blalme,
Penfans la terre indigne de telle ame,
Veu que pour vray les dieux auoient taille
Son hault efprit, & aux humains baille
Pour leur feruir d'exemple bon à fuyure
Ou pour auoir longuement trauaille
En seur repos, mort au ciel le faid viure.
5
Egiale féconde grâce. lo
Honneur, toute femme eft mortelle,
Cefte loy n'a exception ,
Mais grâce la rend immortelle.
Quand mort fai6l par corruption
D'ame & corps féparation,
Le corps retourne en pourriture
Dont l'ame ayant exemption
Reprend immortelle nature.
Icelle grâce changeant propos.
Ce n'efl pas là, gracieules Francoyfes,
Le vray moien de vous refconforter ,
Aprez la mort d'une des plus courtoifes
Q'uon veit iamais noftre France porter.
Sa mort eft grefue autant a fupporter
Comme par grâce elle euft bon-brui6l en vie
Qui régnera fur mort, & fon enuie
Tandys qu'en France on fera cas d'honneur, ii
Or penfez donc qu'aprez vie aftbuuye
Elle eft rauye au ciel fans defhonneur.
Euphrofme tierce grâce.
De quoy luy fert que ciel luy fut donneur
D'une influence, & regard de bonheur
Pour en auoir fi courte ioyflfance?
Ceft le vouloir du cœlefte ordcnneur.
Et le plaifir du iufte guerdonneur 12
Qui monftre auoir fur nature puiflance ,
S'il en faicl tort? i3 c'eft au climat de France
Ou cefte dame auoit aquis le nom,
L'eftime & bruiél de dame de renom ,
S'il n'en fai£l tort? si ont Francovs triftelle.
6
Quant ils n'ont plus de la dame finon
Vng fouuenir de grâce & de noblefïe.
La mefmes grâce. i4
Mes fœurs, la mort de la dame nous bleffe
Quant auec elle honneur fœminin ( mort)
En deuilj en peine, & en foucy nous lailïe
De conformer par gracieux accord
Le différent & maint trouble & difcordis
Qu'on veoit mouuoir pour la grâce des dames le
Le Dieu Momus ^^ qui reprend & qui mord
En cefte mort faindra mefditz & blafmes. is
Honneur.
Or plorez donc filles & femmes,
Qui fur tout craignez vos diffames ,
Car mort voftre exemplaire a pris, 19
Ceftoit une dame de prix^
Qui portoit comme la première
Des autres dames la lumière.
Celfoit une dame de Foix
A qui honneur donnoit la voix
Elire des autres port'enfeigne ,
Le dueil des troys Grâces lenfeigne.
Ceffoit vne perle d'honneur
Qui defïioit tout blafonneur, 20
Ceftoit une francoife dame.
Qui ne receuft onc aucun blafme ,
Sans lui eftre a tort impofe
Par quelque enuieux trop aofCj 21
7
Ceftoit vne Laodamie 22
Vne dame non endormie
Au fai£l de lamour coniugal
Rendant l'autre amour inégal ;
Ceftoit foubz amytié diuine
Vne Lucrèce, vne sabine;
Cefloit Pénélope ou r>ido
Sous l'eftendard de cUpido;
Ceftoit portia la rommaineas
En grâce courtoife & humaine
Veu qu'en la forte a fceu aymer
Que fi d'amour euft frui£l amer
Elle y goufta foubz pacience
Doulceur de nette conscience. 2^^
Bref, elle eut en humanité
Toute louenge & dignité
Que la vertu de corps & d'ame
Peult donner a honnefte dame;
Si ie la plains donc aprez mort !
Ceft fon amour qui me remord 25
Ou encor mieulx le fien mérite
Qui fai<5l que des cielz elle hérite.
La première grâce en balade.
O,
R eft donc morte cefte dame
Qu'Honneur auec folemnite
A conduite en terreftre lame, 2c
Prifon de toute humanité.
Les dieux d'immenfe éternité
Pour veoir au ciel lung lautre en face
8
Ont rauy en diuinite
Le miroer dhonneur & de grâce.
La féconde grâce.
Mes Ibeurs j portons luy rofe & balfme , 27
Chaiïans d'air la malignité
Faifons que fon fepulcre embafme,
Meurte & cyprez d'amœnite : as
Noftre eftat de virginité
Ne peut trop enrichir la place
Du corps qui fut par dignité
Le miroer d'honneur & de grâce.
La tierce grâce.
Puifque ce corps qu'honneur réclame ^
Ayant defprit communite
Eft defparty fans vie ou blafme
De fragile mondanité 29
Et qu'il euft par infinité
De nos dons qu'efprit feul embrafle;
Je le nomme en voftre vnite 30
Le miroer d'honneur & de grâce.
;Envoi par Honneur.
Grâces _, mes fœurs en trinite.
Ce corps par inhumanité
De mort, rendu froid comme glace.
Ayant à nous fraternité ,
Fut dit_, par nom d'afïinite,
Le miroer d'honneur & de grâce.
Lafleur.
Ôr veoyez donc , damoyfelles de France
Le dueil, l'ennuy, le regret & fouffrance
De toute grâce & d'honneur foeminin^
Veoyez comment, la mort par fon venin
A corrompu de ce miroer la glace
Qui remonftroit a tout œil toute grâce,
Côgnoiffiez vous celle qu'on va cryant
Et lamentant dedens Chafteaubriant , si
Ou en viuant portoit tiltre de dame, 32
Oyez vous point honneur qui la reclame
Et fans arreft auec triftefle court
Dire la perte aux dames de la court?
Refonne pas en vallée & montaigne
Le dueil qui fort de galloyfe sretaigne 33
Pour cefte dame expofée à la mort.
O! cueurs francoys, fi pitié vous remord
Par vng inftinct de nature bénigne
Tyrez au but de grâce fœminine.
Quelque regret qui monftre a laduenir,
Que vous ayez la dame en souuenir.
Diray ie ung mot aprez mort temporelle
D'honneur, de gloire & louenge pour elle ?
Droid s'y confent, & la raifon le veult,
Puis, fon amour commander me le peult
Veu qu'en viuant, me donna de bon zelle
Faueur, tefmoing Sepeaux la damoyselle, 34
Qui peuft bien veoir, qu'ung moys auant la mort
En fa doulceur me donna grant confort
b
10
Contre leftbrt de marotins alarmes 35
Dont fon remors enuoye a mes yeulx larmes ss bis
Autant de fois qu'en l'efprit me reuient.
Mais j puifqu'attaindre a son honeur conuient se
( l'entendz attaindre en mode couftumière
D'honneur qu'on me6l aprez mort en lumière )
Peult on pas dire en vérité ,
Que celle dame a mérite
Toutes les louenges du monde ?
Premier, elle auoit le cueur munde, 37
Et lefprit tant bien mys au corps ,
Qu'il eftoit maiftre en tous difcordz.
Fut ce donc pas vng grant dômage
Que d'ung tel corps , mort euft l'hommage ?
Quant vng efprit qu'il eut tant beau
L'abandonna mort au tumbeau ?
Certes fi fut. Or donc francoyies
Dames, damoyfelles, bourgeoifes,
Qui auez le cueur tant discret
Plorez en public ou lecret ,
En voftre logis, ou au temple.
Celle qui eftoit votre exemple ,
Et vous ferez apparceuoir sa
L'acquit d'amyable debuoir.
Vne des grâces parle à l'acteur
en luy couppant le propos.
L'efprit au long propos f'oppofe
Afleur, lailTe au corps qui repose
Meurte, oliuier, rofe & cyprez,
II
Et viens à l'efprit tout exprez.
Ceft luy, qui mérite louenge ,
Et non le corps qui n'eft que fenge.
Laétcur.
Grâce, tu as grâce & bon droifl.
De me reprendre en cefl: endroifl.
Ou ie m'arrefte & examine
Vng corps pafiure à la vermine.
Mais puis que i'ay à toy recours.
Et que tu me promedlz fecours ;
le vueil foubz tienne couuerture,
De fon efprit faire ouuerture
Et auec d'autres par raifon
L'aprocher en comparailbn.
Ayant donc loy de faire exemple
l2 n'euz onc matière li ample
A prouuer defcript ancien ,
le prendray en politien 39
L'efprit de cafïandre fidèle , 40
Pour louer l'efprit & le zèle
Que cefte morte eut en viuant,
L'une, alloit d'efprit efcripuant.
Et lautre, aussi vsa dung fdlle ,
Au lieu d'une efguille fubtille ,
La plume d'oaye, ou d'autre oyfeau 4i
Lui feit office de fuzeau.
Et pour la layne ou foye a tyftre 42
Auoit ung liure & ung pulpitre.
Sur lequel quant elle viuoit 43
12
Epiftre ou miffiue efcripuoit. 44
Si lune ainfy feit en fa vie
L'autre l'enfuyuit par enuie.
Parquoi donc fi politien
Ou croniqueur vénitien ,
Euft en la faifon ancienne
Pour caflfandre venicienne
Aucun droid de mefltre en efcript
La louenge d'vng cler efprit?45
Lafteur francoys d'une francoyse,
Et l'elcolToys d'une efcoffoyfe.
Au droiél doibt eftre couftumierj
Vêla mon exemple premier.
Les trois Grâces à l'adeur.
Acteur francoys très loyal Sagontin, le
Laifle parler politien latin
De cafïandra fidèle, par toy mife_,
Celle francoyfe auoit part au butin
D'efpritz plongez au ruilfeau argentin. 47
Et fi eftoit forte côme Arthemife,
Ta liberté eft encores permife
De la louer & d'efprit & de corps.
Honneur & nous ioindrons a tes accordz.
Car puis que mort la dame a confommee ?
Tu ne peulx moins qu'en rôpant tous difcordz
Semer par tout fon bruid & renômee.
i3
Honneur a l'adeur.
Veulx tu paffer en filence
De fon genre l'excellence.
Et de Foix noble maifon
Tous fes parens d'apparence.
Que mortelle violence
Tient foubz terre en garnifon ?
A£leur tu as bien raifon
En carme & en oraifon ^s
Ce poin6l me£lre en euidence.
Si tu as donques faifon 49
D'en faire comparailon?
Faidz le tumber en cadence.
L'adteur.
Le pied vacille a commencer la dance
Surtout lefprit qui veult trop hault monter ,
L'efpoir de grâce enclos d'oultre cuidance
Ne peult icy ma honte lurmonter.
Aultre que moy (honneur) pourra côpter
Et defchiffrer de trop meilleure grâce
L'antiquité, la nobleffe de race.
Et de vertuz , fans la mettre en oubly, j
Dont la maifon de Foix, par longue efpace,
A mainte femme & home ennobly, so
Honneur,
A<Seur, tu as honnefte cueur, •
On le cognoift a ton excufe,
H
LaifTe donc faire au croniqueur
Ce poin£l que ta honte reffufe.
Employé encor icy ta mufe^
Et déclare en flille beningsi
Par grâce, en ton efprit infufe.
Le miroer d'honneur fœminin. 52
L'aéleur expofant la matière
du miroer.
Ce miroer faict de table entière 83
Eftoit, de tant nette matière
Qu'il n'euft tache ou erreur maling,
Nom plus qu'vng miroer criftallin ,
Dont n'est poffible qu'on mefdie,
S'il eft de façon de l'Yndie ^ s*
Puifqu'ung tel miroer, par raifon
D'autre ne craingt comparailon.
Vecy que ie dy donc pour elle 55
Qu'elle auoit maffe corporelle
Ou le ciel meill efprit vital
Comme il engendre ung blanc criftal,
D'efcume en eau de nefge faide,
Ainfy fut la dame parfai6le,
Qui eut le corps humain plaifant,
Comme vng criftallin reluifant.
Si le miroer eftoit de verre ?
Son corps eftoit limon de terre ,
L'ung corruptible & l'aultre aufly.
Comme la mort demonftre icy.
Mais quel verre aura ce bonheur
i5
D'auoir comparaifon d'honneur
Au corps de cefte noble dame?
Sera ce vng verre, que brui61: clame,
(Mais ie croy que le brui£l en ment)
Qu'on le pouuoit bien, fans nuifance
Tourner & tailler a plailance.
Par artifice, & par art gent
Ainfy qu'on faid lor & largent? b«
Cela aduint defloubz Tybere,«7
l'entendz, û cela Peft: peu faire.
S'il feft peu faire, & i'il l'eft fai6l ?
Pareillement ce corps parfaid ,
Des elementz eut telle grâce
Que ce beau verre eut en la glace.
Le verre en fa facilite ^
Le corps en fon humilité, »s
Et û ce verre en fa fubflance
Auoit au criftal reflemblance
Dont il fut digne de louer?
le puis bien ce corps aduouer
ladis plus blanc par innocence
Que n'eft criftal par relucence. 8»
Honneur.
Acteur francoys. Honneur te certifie
Que c'eft affez, par la philofophie eo
Soubz un miroer donne louenge au corps.
Vien donc au poinft, qui lame glorifie,
Pren du miroer ce qui le purifie,
i6
Et fi tu peulx , mets le dedans dehors ,
Pour demonftrer clerement les accordz
D'vng vray miroer qui reflecte & remonftre
Obgect femblable à celuy qu'on luy monftre
Au cler miroer d'une dame de Foix
Te promeclant, fi ta mufe rencontre.
Que tu auras laurier a cefte fois. 61
L'afteur.
Honneur, par toy fuys philofophe
Si i'ouure ce mirouer couuèrt,
Refte ung poin£l de plus hault eftoffe
Qu'il conuient medre a defcouuert,
le n'en ay que le moins onuert.
S'il faut que ce refte ie face?
l'auray par honneur refcouuert
Laurier vert couronne de grâce.
Les Grâces.
Si tu veulx croirre Jamy bening)
Le confeil dhonneur fœminin ,
(Auquel plufieurs portent enuie)
Tu -auras (fans gloire en ta vie)
Sur Ihumaine fragilité
Aprez mort immortalité.
Parquoy les immortelles Grâces j
Te confeillent que tu parfaces
Le miroer dhonneur fœminin 1
Qui n'endure ou reçoit venin.
17
L'adeur déchiffre le miroer
plus haultement.
Dame nature entre fes haultz effortz
Feit vue grâce a tous miroers bien fai6tz
De rendre à l'œil toute ymage oppofée.
Or ay ie icy & la charge, & le faiz.
De déclarer en mes vers imparfaiflz.
Dont vient & fourt la grâce propofee
Et ne defire aultre grâce impofee
A mon trauail qu'amour & loyaulte
De toute femme, expofant sa beaulte
A fon miroer, fans cefte grâce attendre.
Ecoutez donc dames en priuaulte es
Et (i ie puis , la vous ferai entendre.
Defcription naturelle du miroer.
Nature au fecret cabinet
Fai6l qu'ung miroer cler, pur, & net.
Exempt de macule & diffame,
Reprefente ou Ihomme ou la femme,
Si en luy fe va regardant.
Qui faift cela ? ung luftre ardant
Du verre, ou clarté de matière.
Rend l'obge^l & figure entière,
Par repercuffion de l'air,
Qui retourne a lœil vif & cler.
La, par vertu, nature affemble
Les traidz d'œil, & de verre enfemble,
Lobged , l'image, & accidentz
Que l'œil penfe veoir au dedens ,
c
i8
Ne font que diffufe lumière
D'umbre, de figure première,
Aultrement? ceft un luftre infuz.
Et fi cela eft trop confuz,
L'excufe en gilt en la matière
Ou bref j c'eft vne efpèce entière,
D'vmbrageufe imperfection
Qui rend la mefme obge6lion.
Ce font les naturelz, fans pline,
Qui tiennent cefte difci pline. 63
Encor fault dire plus auant
De ce miroer dicy deuant ,
Mon propos n'auroit apparence
Sans expofer la différence
De lobged reflefte & pris.
Le miroer de macule efj)ris,
Ou de tache, ou de cralTitude ci
Contrefaid la fimilitude
De face humaine offerte à luy.
Purgez la table d'iceluy
Oftez en la tache, & la greffe
Il rendra nelene & Lucrèce
En leur naturelle beaulte
Et vfera de loyaulte
Sans fard, tromperie, ou cautelle,
A monflrer la perfonne telle ,
Qu'elle eft iugée aux accidentz ,
Sans rien defcouurir du dedens
Si en ce cas par aduenture
Raifon ne furraontoit nature.
19
Car le miroer l'œil tant decoit
Qu'il n'entend fil baille ou reçoit^
Et Cl raifon ne le gouuerne ?
Il Tenyure de fa tauerne, 66
lugeant vng droi<5> tors ou trauers
Comme en leaue vng bafton reuers ,
Qui n'eft toutesfoys que la faulte
De l'œil priue de raifon haulte. 67
Encor que le miroer rien n'ait,
Qui ne fcit bien pur & bien net ,
Il y a grande diffe'rence
Quelle en foit la circonférence
Puifque diuerfe qualité
Change la naturalite
De figure au miroer receuej
Ou toute perfonne eft deceue ,
Sans raifonnab'e iugement
Qui fe doibt faire fagement
D'vng miroer, qui félon fa forme
Rend lymage, ou vraye ou difforme ,
Et enfuyuant l'art différent
Rend lobgedt faulx ou apparent. 67
On veoit en vng miroer fragile
Vne figure en rendre mille
Ayant femblable qualité.
On le fai£t par noualitej69
Grauant au miroer cent paffages
S'on veult qu'il y ait cent vifages ,
Et toutesfois n'en fera qu'ung
Qui fefpartira par chafcung.
20
On faid d'aultres miroers horribles
Ou Ion veoit des chofes terribles^
L'antiquité les a congnus ,
Et offertz au temple a venus 7o
(Si ce n'efl: fi(5lion ou baue)7i
On peult faire vn miroer concaue, 7a
Bas, efleue, oblique, ou droi«5l.
On en feroit, qui le vouldroit
En toute figure & manière.
Mais il n'y a que la lumière
Ou lueur du verre & fubie(5l
Qui repretente au vray lobged.
L'umbre que la clarté n'endure
Renuoye à l'œil cefle figure.
Comme ie fcay, par la leçon
Des naturelz, 73 mais la façon
De tailler, de grauer, & rompre
Peult Ihumain iugement corrompre
Et rendre vng miroer incertain.
Honneur, ce propos trop haultain 74
Faidl tomber de ma main la plume ^
Et feu nouueau du dueil mallume 75
Affin que ie regrette en vers
Ce miroer qui gift à lenuers
Miroer de toute honnefte femme,
Miroer fans macule ou diffame
Miroer du sexe fœminin ,
Miroer exempte du venin
Et d'imbecilite humaine
Rendant clarté de miroer vaine ,
21
Miroer antique & louuerain,
D'eftain, entremefle d'arain, 76
Miroer de matière argentée
De façon nouuelle inuentee. 77
Miroer plus beau a l'œil des clercz ou lays
Que le miroer que feit Praxiteles,
Graueur expert, au temps du grand Pompée, 7»
Miroer d'acier, ou face n'eft trompée,
Miroer ardent que Sydon inuenta, 79
Miroer qui onc fon luftre n'efuenta
Pour le regard de perfonne enuieuie,
Miroer remply de grâce gracieuse,
Miroer d'amour, tant charte et bien reigle
Qu'vng feul amant ne f'y eft aueugle. so
Doy ie finir (amour de me complaindre
De cefte mort, qui a voulu effaindre,
Rompre, et brifer par accident maling
Ce beau miroer de luyfant criflallin,
Certain refuge a francoyfe nobleffe ?
Grâces, fi tant cefte perte vous bleffe ?
Quittez iardins, et voz iolys manoirs.
Venez en dueil, et en veftemens noirs.
Pour regretter cefte francoyfe dame,
Qu'aprez la mort vofîre miroer ie clame.
Quant eff à moy ? qui tant en mon cueur lay
le vous requier contre mort faire vng lay. si
o
22
Les Grâces, en lay.
mort, tu as donc la dame,
Q'honneur clame,
Miroer de ciuilite.
Falloit il, o mort infâme,
Prendre femme
De tant noble qualité?
Faut il que mortalité
Villire
Et ce qu'en nature on blafme.
Rompent par fragilité
Dignité,
D'ung corps fans blafme ou diffame?
Dieux haultains du celefte empire
Quel mal pire
Euft fceu par mort France efprouuer ?
Fault il de rechef ce mal dire.
Et redire
Pour fon dueil encore aggrauer?
Dieux, vous auiez voulu grauer
Et lauer,
Le miroer que France foufpire,
Maint cueurz on en verra creuer
Ou greuer
Car ce grant mal la France empire.
Créature mainte
En fai6l fa complainte
Et non fans raifon,
23
Car la dame plainte
Par la mort eftainte
Eftoit de maifon
Hors comparaifon
Noblement attainte,
Qui faid que fans fainte
Mortelle poifon,
A France contrainte
D'en faire orailon. 82
Laéteur.
Vêla cornent les troys Grâces diuines
Que Je copare aux grâces féminines
Pour cel^e morte ont fai(n: en temps fubit
Change de lieu, & de face & dhabit.
Change du lieu, ou conuerfent les Muies, sô
Pour habiter noz places tant confufes,
Change de face, & de maintien ioyeux.
En regard trifte, & vifage ennuyeux^
Change d'habit, & de blanche veflure
En noir de dueil fafcheufe couuerture.
En tel habit fe vindrent tourmenter
Et cefte dame en vng lay lamenter
Ce lay parfaifl, fe font efvanouyes^
Depuis en France, on ne les a oyes.
AufTy, honneur vng peu deuant Peft teu.
Non pas qu'en France il n'euft plus de vertu :
Mais pour mieulx plaindre et regretter la dame
Que chafcun plaint fans exception d'ame.
O donc Francoys, & vous dames francoyfes
Continuez voz pleurs^ voz plain<5tz_, vos noyfes «*
24
Contre la mort^ & contre haultains dieux,
Dames de court, damoyfelles_, bourgeoifes, sk
Plorez la mort dvne des plus courtoifes
Qu'honneur francoys meift oncques en fes lieux.
Plore Bretaine^ & û tu ne peulx mieulx
Faidz que par brui6l et grande renommée
La dame foit en ta terre nommée,
Et lors chafcun oyant ce bruid bruyant
Se fouuiendra que mort a confummee
La flœur d'honneur dedens challeaubriant.
O nobles cueuis plains de doulceur,
Monfieur de Lautrec^ & fa fœur
Pour le prefent de Laval dame, si
Ce mal de maint cueur aggreffeur
Vous touche il point? Oui : i'en fuis feur st
Et vous naure de corps et d'ame,
Car celle qui gift foubz la lame.
Eut iadis de vous deux ladueu
D'amour, de niepce, & de nepueu, 88
Qu'elle a inftruidz par longue efpace. S9
le n'en feray ferment ne veu.
On le congnoift a voftre grâce.
O gentil cueur, de noble lang & race.
Verras tu d'œil, fans dueil que mort terrace
Vng corps extraid de tienne parente ?
O ieune corps, ou lesprit plain de grâce
Rend vng efpoir de paternelle audace
Sur qui tu as vouloir, & cueur ente.
Ton père mort, de fes biens ta rente
Tant feullement par faulte de ton aage, »«
25
Mais cefte dame eftant de ton lignage
T'a fur la race en vertu ennobly,
Par quoy, feras accomply perfonnage
Si tu ne medz ce bienfaicl en oubly.
As tu lailTe a cefte mort ta tante 91
Dame d'honneur, niepce forte et confiante,
Loyalle efpoufe au feigneur de Laual ?
Je crois que non_, & que n'eftois diflante
D'elle, quant mort aux humains fort nuyfante
Du droift qu'elle a tant a mont côme a val ,
La rauifl hors de ce terreffre valj
S'ainfy eft donc, faidz pour elle tes plaintes
Puifque tu as par elle grâces maintes
Et qu'elle t'a fi bien nourrie vng temps ,
Que maintenant tu as au cueur empraintes
Mille vertus, ainfy qu'au vray ientendz.
Que refle il plus ? que toute dame
Vienne plorer fur cefte lame.
Et que les vues par leur crys ,
Les aultres, par fimples efcriptz
En laiffent la mémoire au monde.
De moy ? par faulte de facunde
le voys faire conclufion, 92
Pour euiter confufion
Du trouble cloz en voz penfees,
Qui vous rend en cUeur offenfees,
le vous pry donc pour l'aduenir,
Auoir mémoire & fouuenir
Qu'a voftre grant defauantage
Cefte dame eft morte auant aage , 93
Et eut tout biens , fors, grande part
26
De viure, auant le lien départ
Que mort, ou. len ne remédie
Luy hafta d'une maladie. 94
O ! mort, mefchante de rechef
Dauoir par vng û grani mefchet"
;Dont tu veulx eftre coutumiere)
Eftaind des femmes la lumière,
Vne dame de tel fcauoir
Qu'on la veift en noblelTe auoir
Toute la fcience en la lefie 9s
Que pourroit auoir dame honneffe.
le puis bien efcrire en ce lieu
Que du defir quelle euft a dieu
Enfuyuit par dodrine faine
Vne Katherine de Seine, oe
G'eftoit une cornelia.
Ou vne doiSle Loelia, 97
Pour adioufter fans arrogance
Au beau parler plus delegance,
l'entendz au françoys tant humain 9s
Gomme ces deux, a leur rommain ,
Encor ie faulx,99 veu qu'il me femble
Qu'elle auoit ces deux ioindz enfemble ,
Vng moyen langage latin,
A litalien de Laertin, 100
Et pour vng tiers & beau langage
Parloit efpaignol dauantage, loi
Que tant bien fcauoit annuncer
Qu'on n'euft fceu mieulx le prononcer.
De ces troys , quant bien ie m'aduife
La dame auoit mainte deuife 102
27
Qu'on luy feift fi bien expliquer
Qu'on n'y fcauoit que répliquer.
le feray par expérience
Tefmoing de la haulte fcience.
l'en puis bien dire a mon aduis
Ce que ien fcay par fon deuis ,
Auquel trouuay auec fortune ^
En fon viuani heure opportune 103
Tant que i'oy par plufieurs foys,
La dame françoyfe de poix
Parler de plus haulte pratique
Que Sapho en l'art poétique 1 04
Ou que la MOufche_, qu'on defcrit
Auoir eu û gentil efprit^
Qu'entre poètes eft nombree los
Ou ThelefiUe célébrée
D'antique rethoricien loe
Qui di£l, que le pœuple ancien
Luv a ftatue couronnée
Au temple de venus donnée ,
Ou que la fage cafîandra ,
Que le roy troyen engendra.
Laquelle eft efleuée en throne
Au temple de Lacedemone. io7
Bref ie craingz d'eftranger raifon
Par trop longue comparaifon, 108
Qui fourd en l'efprit tant plain d'ire
Que plus ne fçait qu'efcryre ou dire.
Sinon, que mort par vng feul coup
A fai£l du dommage beaucoup.
Quant pour vne a mys en fouffrance
28
Tout l'honneur fœminin de France.
Dixain de la dame comparé^ au miroer.
Cy gifl: le verre^ & miroer reluylant
Ou mainte dame a fa grâce efprouuee
Vn luftre auoit de criftallin plaifant
Dont fut fa forme, aux dieux digne trouuee
Deftre en leur ciel crifîallin efleuee.
Or prenons donc^ vng verre, pour vng corps
Et vng criftal, pour efprit fans difcordz.
Le verre indigne, enfuyt criftal tant digne
Parquoy ce corps , foubz cœlefles accordz loo
De terre eftant fuyvra lame diulne.
Autre dixain pour epitaphe du dicl
miroer des Dames.
Soubz ce tumbeau gift vng miroer calïe
Au grant regret de maintelionnefte dame.
«Jui corrigea par luy au temps palTe
Mainte macule autant de corps que d'ame.
Or maintenant eft en deux partz fans blafme,
Car le corps tendre, icy tumbant bruyant
Feit retentir lair de chausteaubriant
Quant mort fendift de ce miroer la glace.
Et l'efprit vif, pour le corps va priant
Qu'au ciel reface aultre miroer par grâce.
Quatrain,
Ce miroer par la mort call'e
Euft clere fubftance & tant pure
Quil ne cela onc vne ordure
Tache ou macule au temps palle.
29
Diftichon eiufdem autoris.
Forma, hdes, &. amor, muliebris fplendor honoris
Francifca hoc tecum funt tumulata loco.
Traduction par luy mefmes.
Honneur de femme, amour, foy & taint beau
Sont avec toy, Francoyfe, en ce tumbeau.
Eiufdem ad feipfum.
Fœhcem fortuna facit Francifce fidelem
Francifcam_, faciet fama futura fidem
Fatales frangens forti fragore fauillas Ho
Fert lontem feretro fœmina faufta faui 1 1 1
Florida florenti florefcens Francia flore
Fortiter hoc funus flendaqz fata feret.
Exaftichon de eadem Francilca
poft obitum, per Hugeriû. "'-
iMagnus Aiexander fœlicem dixit Achillem
Illum quem célèbrent attica fcripta virum, iin
Tu quoqz pofl: mortem, fœlix Francifca videris ,
Ipfa fagontino carminé viua manens.
Te merito laudat, virtutum fumma tuarum
Digna eft quam cœlo fecula longa ferant.
VELA DE QUOY, US
NOTES
SUR LE TEXTE DU POÈME DE SAGON.
NOTES
SUR LE TEXTE DU POEME DE SAGON.
' Par Francoys de Sagon , secrétaire de labbe de Sainct
Eburoul.
Une note, mise sur la marge de la première page du Manuscrit,
d'une autre écritiire que le reste, et manifestement bien postérieure,
est ainsi conçue : « Cet abbé avoit nom Félix de Brie, des seigneurs
de Serrant, en Anjou. Il étoit aussy doyen de S. Julien du Mans ;
S. Evroul est au Diocèse de Lizieux. » (Voir aussi l'Introduction,
p. «2).
2. Ce mot Acteur s'employait alors pour Auteur, comme on le voit
constamment dans les Epitres familières de Jean Bouchet, ami et
contemporain de Sagon.
I?. Pour veoir de coeur vostre mirouer casse.
Le Manuscrit ne porte pas ici ni ailleurs d'accent aigu sur l'é
final de cassé, bien qu'il ait « prolation masculine », comme le di-
sait, à cette époque, Etienne Dolet, dans la Pvnctvation de ta langve
f'rancoyse. « La lettre appellée, e, a double son, et prolation en Fran-
coys. La première est dicte masculine : et l'aultre féminine. La mas-
culine est nommée ainsi, parce que, é, masculin a le son plus virile,
plus robuste et plus sonnant. D'aduantage, il porte sur soy vue virgule
ung peu inclinée a main dextre, comme est l'accent appelle des Latins
aigu, ainsi, é. Exemple. Il est homme de grand' bontO, priuaulté,
1
Z NOTES.
familiarité, etc.» Dolet posait, en 1540, cette règle, que Sagon n'a
point observée, en écrivant son poème vraisemblablement deux ou
trois ans auparavant.
4. France a perda son reiglet compassé.
Une règle sur laquelle les dimensions ont été tracées à l'aide dn
ompas, c'est-à-dire une règle exacte et invariable.
5. Par les hanitz boys deseonforier m'en roys.
Desconforler est pris dans le sens réfléchi de se déconforter , plu?
usité, c'est-à-dire s'affliger démesurément.
Quant à M'e?i voys, rimant avec voix, il prouve que telle était
l'ancienne prononciation de voys, notre vais d'aujourd'hui^
6. Sans empirer le miroùer ou mirer-
Denbst aspirer l'œil de l'honneste femme.
Le sens est que Françoise de Foix est le miroir où l'œil de l'hon-
nête « femme devait aspirer à se mirer. » Où et à n'ont point d'ac-
cent chez Sagon.
7. Pasythea première grâce.
Pasithée, fille de Jupiter et d'Eurynome, était, selon quelques
auteurs, la première des Grâces. On l'appelait aussi Aglaé.
8. Raison n'est qae merveille on face
D'nn corruptible corrompu.
Cela veut dire : « Il n'y a pas lieu de s'étonner de ce que le corps
de cette dame, malgré toutes ses perfections, ait été frappé par la
mort, puisqu'il était destiné à mourir. »
9. Fors que le coup par la mort aiiance (avancé).
Née vers H95, morte le 16 octobre 1537, à quarante et quelques
années, Françoise de Foix peut bien passer pour victime d'une
mort prématurée.
NOTES. 6
10. Egiale seconde grâce.
On écrivait habituellement ^Egiale ou /Egialea, d'après l'étymo-
logie, d'où Egialée aujourd'hui.
11. Tandysqu'en France on fera cas d'honnenr.
« Tans-dis {tantos dies) est un accusatif absolu, comme tous-jours,
et ne peut pas plus que toujours être suivi de que. Tandis que est
une absurde invention du tyran Vaugelas. Jusqu'à lui, personne ne
s'était avisé de joindre que à tandis. » Des variations du lan-
gage FRANÇAIS DEPUIS LE xip SIÈCLE, par F. Génin, note 2 de la
page 2'»l. — L'exemple ci-dessus le montre; l'emploi du que con-
testé est, de plus d'un siècle , antérieur à Vaugelas , et il est lo-
gique, puisque la phrase complète serait en latin : « Tantos dies
quantos, etc.
12. Et le plaisir du juste guerdonneur.
Celui qui récompense, nom formé du mot guerdon, et plus ancien-
nement du mot guerredon, récompense. On trouve encore guerdon-
ner, au xvii* siècle, chez Scaron et La Fontaine.
13. S'il en faict tort?... s'il n'en faict tort?
L'habitude de l'auteur, ou de son copiste, était de mettre ainsi un
point d'interrogation à la fin des phrases oîi figurait le mot si, quel
qu'en fût le sens. — La ponctuation générale de ce passage n'aido
guère à le rendre intelligible. 11 semble qu'après les mots puissance
et renom, il faudrait un point, au lieu d'une virgule, pour avoir un
sens à peu près plausible.
14. La mesmes grâce.
« Autrefois le mot même, adverbe ou non, avait toujours Vs à la
tin. Les poètes, à qui l'on accordait tant de libertés, avaient celle
4 NOTES.
de garder ou Je retrancher cet s. Villon, dans une de ses plus jolies
ballades, offre l'exemple de l'une et de l'autre orthographe. »
Des variations du langage français, par F. Génin, p. loi.
L'auteur cite le refrain de la ballade, sous ces deux formes :
Je connoy tout, fors que moy mesme. . . .
Je connoy tout, fors que inoy mesines.
Tel est le texte des anciennes éditions, suivant que mesmes rime
avec un nom singulier ou pluriel.
Marot, donnant à Marguerite, sœur de François 1, qui fut depuis la
^a célèbre reine de Navarre, des nouvelles du camp d'Altigny (l52lj,
dit, en parlant des beaux hommes qui s'y trouvaient :
Il semble que Nature
Leur ait donné corpulence, et facture
Anssy puissante, avec le cuenr de mesmes.
Pour conquérir sceptres, et diadesmes.
OEUVRES DE Marot, édition de Niort, 1596, p. 130.
15. De conformer par gracieux accord, etc.
Calmer, apaiser, arranger le différend.
16. Le différent et maint trouble et di.scord
Qu'on veoit mounoir pour la grâce des dames.
Il fait allusion à un ouvrage de Jean Bouchet, son ami : Le liige-
inent poeiic de l'honneur féminin et seiour des illustres claires et lion-
nestes Dames par le Trauerseur. — Imprimé à Poictiers le premier
d'Auril M.DXXXVIII, par Jehan et Enguilbert de Marnef frères. »
— Dans l'Apologie de l'auteur, qui est fort longue, il dit : « Je pro-
teste en premier lieu ne vouloir préférer l'honneur des femmes à
celuy des hommes mais, toute affection cessant, garder a chacun
son ordre; et montrer que le sexe féminin est a honnourer en son
ordre et qualité comme le masculin. » Et pour le prourer, il cite
toutes les femmes célèbres de l'antiquité, de l'Ecriture sainte et de
NOTES. 5
tous les temps et de tous les pays, en les faisant parler dans une
Epigramme de quatorze à seize vers français.
Il y a même ua chapitre intitulé : « Des inconueniens aduenus a
aulcuns qui onl viesprise les Dames et dctraicte dicelks. Ue plus on y
trouve une « Inuectiiie contre ceulx qui blessent l'honneur des
dames ».
Ce Rarissime ouvrage se trouve à la Bibliothèque nationale Y, 4536.
A. Réserve (I vient à la suite d'un autre du même auteur : Des
angoijsses et remèdes damours du Trauerseur en son adolescence.
Imprimé a Poictiers le huytiesme iour de Janvier M.DXXXVI par
Jehan et Enguilbert de Marnef frères. •> Un petit in-4°.
17. Le diea Moiniis qai reprend et qui mord.
On disait Momus fils du Sommeil et de la Nuit, et dieu de la rail-
lerie et de bons mots. Son nom venait du grec M«//of , moquerie,
d'où Momerie, mascarade, — ces deux noms, Momus et Momerie,
étaient fort usités au XVI* siècle. N. Bourbon, faisant l'éloge des
œuvres de Marot à dit :
Hic nihil est, qaod non sic eliraaverit Autor,
Vt metuat Momi jndicis ora nihil.
Edit. de Marot, 1596.
18. Le diea Momas qni reprend et qui mord
En ceste mort faindra mesditz et blasmes.
On a ici une rimebatelée, propre aux vers de dix syllabes, inventée
par Jean Molinet de Valenciennes, au xv* siècle. Elle a lieu, quand la
fin d'un vers rime avec la césure du mot suivant, mord et mort. On
la retrouve assez fréquemment dans les poésies de Marot.
Faindra doit s'entendre dans le sens du latin Fingel, imaginera,
inventera faussement calomnies et blasphèmes, à propos de cette
mort, non pas contre le mari, comme Varillas le fit cent cinquante
ans plus tard, mais contre la morte, elle-même, dont Sagon va faire
l'éloge. Voir l'Introduction, pages 5G-58.
0 NOTES.
19. Car mort votre exemplaire a pris.
Du latin exemplar, type, modèle.
20. Qui deffîoit tout blasonneur.
« Blasonneb, se disoit autrefois pour signifier, parler de quelqu un,
le décrire avec ses bonnes ou mauvaises qualités, et particulièrement
pour médire. » Dictionnaire de Trévoux. Ici, il a plutôt le sens de
critique ou de censeur.
21. Par quelque envieux trop aose (osé).
Envieux étant de trois syllabee, le vers serait faux, si, par diérèse,
on en faisait également trois de aose. Au xvi® siècle, quand cet a
figurait sur le papier, c'était par habitude ; on n'en tenait pas compte
pour le nombre de syllabes. «Nous l'escrivons encore en saoler,aorner,
là où il n'est nulle mémoire de Va en la prononciation, » Meygret,
Traité touchant le commun usage de l'Ecriture française, 1542. Il
faut remarquer que le contraire est arrivé pour l'o dans Laon^
paon, etc.
22. Cestoit une Laodamie.
Laodamie épousa Protésilas, roi d'une partie de la Thessalie. Son
époux ayant été tué par Hector, au siège de Troie, elle fit faire une
statue qui lui ressemblait, afin de jouir au moins de l'image d'un
mari adoré. Acaste, son père, voulant lui épargner un spectacle qui
alimentait sa tristesse, fit soustraire la statue. Désespérée de cette
seconde perte, elle se jeta dans le feu, et y perdit la vie.
23. Cestoit Portia la rommaine.
Porcia, fille de Caton d'Utique, épouse en premières noces de
Bibulus et ensuite de Brutus, se rendit célèbre par son esprit, par
son courage et par sa vertu. Toute dévouée à Brutus, elle ne voulut
pas lui survivre. Ses parents et ses amis lui ayant ôté toutes les
NOTES. 7
armes capables de lui nuire, elle avala des charbons ardens, dentelle
mourut, l'an 42 avant J.-C.
24. Tous ces éloges, donnés aux femmes vertueuses de l'antiquité,
ne conviennent pas, au même degré, à la comtesse de Chateaubriand,
que notre poète leur compare. La véridique histoire est là pour
démontrer, une fois de plus, que « Comparaison n'est pas raison. »
Voir l'Introduction, pages 51-55.
25. C'est son amoar qui me remord.
C'est-à-dire me cause du regret, du tourment, me tient au cœur,
dans le sens où Virgile a dit:
Qaando haec te cnra remordet.
E^ÉÏDE. I. 265.
26. A. conduite en terrestre lame.
Du latin lamina, la plaque de métal destinée à recevoir l'Epi-
taphe, et prise pour le tombeau lui-même.
Marot a dit, dans une de ses Epitres, en recommandant un petit
tailleur à Anne de Montmorency :
Mais son estât dessous la dure lame
Fnt enterré avec la bonne Dame.
27. Mes sœurs, portons Iny rose et balsme.
De balsam,um, baume. Marot, rejetant la lettre étymologique /, a
toujours écrit Basme.
Car son alaine odorant plus que basme,
Souffloit le feu qu'Amour m'a préparé.
Sagon l'a imité dans la rime embasme, qui vient immédiatement.
28. Meurte et cyprez à'amccnite.
Meurte vient du latin Myrtus, myrle. — Amœnite, à cause du latin
Amû?nus.
8 NOTES.
29. Puisque ce corps. ... est desparty....
De fragile mondanité.
C'est-à-dire, est sorti de ce monde, où la fragilité de l'homme est
exposée à tant de périls.
30. Je le nomme en votre imite
En me joignant, en munissant à vous, de façon que l'avis sera
unanime. — Unitas, tatis, dans le latin de l'Ecriture.
31. Et lamentant dedens Chatteaubriant.
Aujourd'hui Chdteaubrianl, au nord du dépar' de la Loire-Inférieure,
chef-lieu d'arrondissement, dans la Haute-Bretagne. — L'orthographe
Chateaubriand, pour désigner la personne, a prévalu.
32. Ou en vioant portait tiltre de dame.
On l'appelait : Dame de Châteaubriant, comme on le voit en tête de
ce poème, à cause de son mariage avec Jean de Laval, comte de
Châteaubriant. Voir l'Introduction p. 39.
33. Le dueil qui sort de galloise bretaigne.
L'Armorique, plus tard Bretagne, ayant servi de refuge à une
notable partie des Gaulois, lors de l'invasion romaine, la langue cel-
tique, la langue indigène des Gaulois, s'y était conservée, en dépit
de la pression romaine, et malgré l'invasion germanique du v* siècle.
C'estdulalinet de l'idiome germanique que naquit le français. Mais le
français fut arrêté, du côté de l'Armorique ou Bretagne, par les popu-
lations celtiques qui conservèrent le langage indigène. De là vient
l'épithèle de galloise, (galiicus, gaulois) appliquée à la Bretagne, pour
sa langue et pour sa population. On sait que, <• les représentants
modernes du celtique sont le bas-breton dans l'Armorique (Bretagne
française), le gallois ou Kimry dans le pays de Galles ou Angleterre,
le gaélique dans les hautes terres d'Ecosse et de l'Irlande. »
NOTES. V
M. E.Littré, DiCTiONNAiBE DE LA i,A.\uuE FKWÇAisE, Complément
de la préface, t. I, pages XLVI-XLVIII.
34. Tesraoing Sepeaux la damoyselle. \
L'indication trop vague ne permet guère de désigner la dame de
cette famille que Sagon a en vue. On peut y voir Renée Le Roux,
fille de Jean Le Roux, Seigneur de Chemans, et qui avait épousé
François de Soepeaux, Seigneur de Vieilleville et futur maréchal
de France, « qui fut lieutenant de la compagnie de gendarmes de
Jean de Laval, Seigneur de Chateaubriant. » Le P. Anselme, Grands
Officiers de la couro?ine, t. VU, p, 223, édition de 1726-1C33. On a vu
que Sagon, en relation avec la famille des Seigneurs de Chemans,
avait fait l'éloge funèbre d'un de ses membres. Introduction, p. 29.
33. un moys auant sa mort
En sa doulceur me donna grant confort
Contre leffort de marotins alarmes.
C'est donc en septembre 1537 que la comtesse de Chateaubriand
soutint et consola Sagon, au plus fort de la lutte qu'il avait impru-
demment engagée contre Marot et ses partisans. Leurs attaques
sans nombre, en français et en latin, ne lui laissaient guère de re-
lâche à cette époque. Voir l'Introduction, pages 13-19.
35 bis. Dont son remars ennoye en mes yeulx larmes.
Du latin rememoralio, le ressouvenir. Ainsi Marot a dit :
Mais quand de Mort le remors farienx.
Rondeau, Edit. de 1596, p. 348.
S'j- Mais, paisqn'attaindre a son honneur convient.
Encore un mot pris dans le sens du latin allingere, avec la signi-
lication de toucher, aborder un sujet, comme le poète s'empresse de
l'expliquer en parenthèse, l'expression atleindre à l'honneur ayant
un sens fâcheux qui n'est pas le sien.
2
10 NOTES.
37. Premier, elle avoit le cuear miinde.
«.•"esl-à-clire pur, du latin inundiis, a, wn.
38. Et voos ferez apparceuoir.
Ce. mot esl écrit, comme on le prononçait alors, à la mode ila-
lioniie. » Quand le vieux Léonard de "Vinci parut à la cour de Fran-
çois I, malgré ses quatre-vingts ans, il fit tourner toutes les tètes.
Tout fut à l'italienne. On s'habilla, on se rasa, on se coiffa, on dansa,
on salua, on parla même français à l'italienne. Belles dames, cour-
lisans, filles dhonneur, valets de chambre, s'évertuèrent à désap-
prendre le gentil parler de l'ancienne France. On affectait de dire
alors clioiise pour chos^,j' allons pour nous allons, Piarre, Robari âu
au lieu de Pierre, Roberl. » La satire en France au xvi» siècle,
par C. Lenienl, 1866, in-8°, p. 543. — Cette substitution de l'a à Ve
dans l'écriture, pour la conformer à la prononciaîion, se retrouve
Jjien plu? fréquemment dans les œuvres de Ral^elais.
39. le prendra y en Poli tien.
Ange Ambrogini, dit Poliiien, parce qu'il était né à Monle-Pul-
liano, d'où son nom italien de Poliziano, francisé en Poliiien, cé-
lèbre littérateur italien, né en 1454, mort en 1498, fut protégé par
Laurent de Médicis, dont il éleva deux fils. II parle de Gassandre
ridèle dans le recueil de ses Lettres, en douze livres. Le tome I de
l'édition de ses œuvres, Angeli Politiani opéra, Lvgdvni apud
Seb. GrijpMvm, 1536, p. 84-8G, contient une lettre sous ce litre:
ANGELVS POLITTANVS CASSANDR;E
fideli venetce piiellce doctissimee S. D.
Là se trouvent, en une prose latine élégante, les éloges que Sagon
a versifiés en grande partie, avec les noms de trois ou quatre
femmes célèbres dans les lettres, dont il parlera plus loin.
NOTES.
11
40. L'esprit de Cassandre fidèle.
Gassandre Fidèle, ou Cassandra Fidelis, est le nom d'une femme,
des plus savantes, née à Venise vers 1465, et fille d'Angelo Fidelis.
Elle apprit non-seiîlement le grec et le latin, mais encore l'iiisloire,
la philosophie et la théologie. Des papes, des rois, des princes et
des savants lui prodiguèrent les témoignages de leur admiration.
41. La plume d'oayc ou d'autre oyseau.
Oayc se prononçait oie. Marot, dans sa Première Epilre du Coq à
l'Asnc. A Lyon lamel a dit de même :
Et ma plume d'oye on de Jars...
D'escriie aulourd'liuy ne cessa.
Le jars, mâle de l'oie, est sans doute Vautre oiseau qui a fourni
une plume à Sagon.
i'i. Et pour la layne ou .loye a tystre.
Cet infinitif présent, iysire ou tisire, vient du latin lexerc, lisser,
faire une cloffe.
Marot, dans son Epitre au Roy, Pour succède)- en l'eslat de son
père, suppose que celui-ci lui dit :
Par médecine on peut l'homme tuer ;
Mais ton bel art ne peut tels coups mer :
Ains en sçauras meilleur ouvrage tistre.
Tu en pourras dicter Lay, on Epistre.
43. Sut lequel (pupitre) quant elle viuoit.
Sagon croyait que Cassandre Fidèle était morte, quand il écrivait
son Regret, en 1537 ou 1538. — Elle avait 72 ans et ne mourut que
:k) ans plus tard, à l'âge de 102 ans, vers 1557. Dictionnaire d<'
MM'éri.
44. Epistre on missiue escripuoH.
Il existe un recueil des Epislres de Cassandre Fidèle, et Pohtieu
;i dit de cette correspondance : ■< Scribis epistolas Cassaudra subti-
12 NOTES.
les, acutas, eleganteis, Latiaas, et quanquam puellari quadam, virgi-
niali quadam simplicilate dulcissimas, tamen eliam miré graueis, et
cordatas. » Ibicl., p. 85.
45. La louenge d'vng cler esprit.
Toute la lettre de Politien fait l'éloge des qualités d'esprit qui
distinguaient Cassandre Fidèle, et Sagon s'est borné à traduire sa
prose latine. Le fond des vers précédents est puisé dans ce passage :
« At uerô setate nostra, qua pauci quoq; uirorum caput altius in lit-
teris extulerunt, unicam, te tamen existere puellam, quae pro lana 11-
brum, pro fuso calamum, stylum pro acu tractes, et quse non cutem
cerusa, sed atramento papyrum linas. » Ibidem.
46. Acteur francoys très loyal Sagontin.
De Sagon, latinisé en Sagonlinus, notre auteur a forgé Sagontin,
comme de Marolinus Marot avait fait Marotin, à la fin de son Epitre :
A CEUX QUI APRES L'EpIGRAMME DU BEAU TÉTIN EN FEIRENT
d'autres.
Et pour le prix, qui mieux faire sçanra,
De verd laurier une couronne aura.
Et un dixain de 3Iuse Marotine,
Qui chantera sa louange condigne.
OEdvbes de Mahot, édit. de Niort, 1596, p. 196.
kl. D'espritz plongez an ruisseau argentin.
Périphrase désignant ceux qui se livrent aux travaux de l'esprit et
surtout à la poésie.
•18. En carme et en oraison.
En vers et en prose, comme il a l'ail pour la généalogie de la Mai-
son de Brie et comme il le fera pour l'Oraison funèbre de Philippe
de Chabot, grand amiral de France en 1543. —Voir Tlntroduction,
pages 26-28, et 32-33.
NOTES. 13
49. Si tu as donques saison.
Dans le sens de temps propice, moment favorable, comme ôra chez
les Grecs, ou bien h07^a chez les Latins.
50. L'antiquité, la noblesse de race....
Donc la maison de Foix par longue espace
A mainte femme et homme ennobly.
Pour s'en convaincre, il n'y a qu'à lire le Dictionnaire de Moréri,
où la généalogie de celte maison et de ses diverses branches, depuis
Bernard, premier comte de Foix, en 1062, occupe huit colonnes in-
l'olio. Il suffit de citer, pour l'illustration de la maison de Foix, les
trois frères de la dame de Chateaubriand, célèbres par leurs exploits
militaires : Odet de Foix, seigneur de Lautrec, maréchal de France;
Thomas de Foix, seigneur de Lescuu, dit le maréchal de Foix, et
André de Foix, seigneur de Lesparre ou d'Asparro, gouverneur de
la Guyenne et chef de l'armée destinée à conquérir la Navarre. —
Kemarquer qu'espace était alors du genre féminin.
51. Et déclare en stille bening.
Dans le sens du latin cleclarare, rendre clair, visible pour tous,
52. Le miroer d'honneur fœminin.
« Miroir se dit figurément en morale, de ce qui nous représente
quelque chose, ou qui la met comme devant nos yeux. Exemplar,
Spéculum. C'est un miroir de vertu, un miroir de patience, c'est-à-
dire un modèle d'une parfaite vertu ou d'une patience h toute
épreuve. » Dictionnaire de Trévoux.
53. Ce miroer fait de table entière.
Parce qu'on disait une table de verre {tabula) et qu'un miroir fait
d'une seule table, d'une seule pièce avait plus de prix.
54. Nom plus qu'vng miroer cristalin. . . .
S'il est de façon de VYndie..,,
D'autre ne craingt comparaison.
14. NOTES.
Le poète a traduit ce passage de Pline l'Ancien : « Auctores sunt
(vitrum) in India e crystalio fracta fieri, et ob id nullum comparari
indice. " Hisloire naturelle, édition de M. Littré, dans la collection
Nisard, t. TI, 1. XXXVI, c. 66, p. 530. — On lit aussi dans Rabe-
lais : « Ils ont, ou ie resue, l'herbe de l'indie. » Pantagruel,
liv. V, ch, 38.
"if». Vecy que ie dy donc pour elle.
Je dy, pour rfi, comme plus loin : Je croy, pour croi; je vous re-
quier, pour requiers. Dans l'ancienne orthographe de notre langue,
« la première personne du singulier ne prend point d's, à moins
que cette lettre ne soit du radical : Je voi, je vi, etc. Ces formes
sans s sont restées dans notre versification à titre de licence ; mais,
bien loin d'être une licence, c'est une régularité, car l's, conformé-
ment à la conjugaison latine, type de la nôtre, n'appartient pas à la
première personne {video, vidi), et c'est à tort que de la seconde
personne dont elle est caractéristique, on l'a étendue à la première. »
M. E. Littré, Diclionnaire de la langue française, t. I, p. 13.
56. Par artifice et par art gent
Ainsy qu'on faict l'or et Vargent,
On voit ici, comme en quelques autres endroits, un exemple de la
rime équivoque ou équivoquée, sorte de rime dans laquelle la der-
nière ou les dernières syllabes d'un vers étaient reprises à la fin du
suivant, dans un sens différent. Marot a laissé une pièce de ce genre,
une Epistre au Roy. Elle commence ainsi :
En m'esbatant ie faits Rondeaux en Rithme,
Et en rithmant bien souvent ie m'enrime ;
Bref, c'est pitié d'entre nous Ritbmaillenrs.
Car vous trouvez assez de rithme ailleurs....
On trouve encore de ces vers dans les ouvrages de Marot, comme
dans ce passage de Sagon. Crétin, devancier de Marot, s'était
particulièrement adonné à ce triste genre de versification.
NOTES. , 15
Pour le lait relaté dans ce passage, Sagon a encore l'autorité de
Pline : a Et aliud (vitrum) flatu fipuratur, aliud torno teritur, aliud
argent! modo caelatur. » Ibid.
57. Cela aditint dessous Tybere.
« Ferunt Tiberio principe cxcogitatum vitri temperamentum. »
Pline, Ibid.
;i8. Que ce beau verre eut en sa c;lac e
Le verre en sa facilite.
Le corps en son huiniliie . . . .
La fin de cette longue comparaison du corps avec le verre aboutit
à ce passage obscur, dont nous n'osons hasarder aucune interpré-
tation.
59. Que n'est cristal par relucence.
Mot créé du latin relucere, renvoyer, r-efléler la lumière.
(JO. Que c'est assez par la 'philosophie,
Sagon nous paraît même avoir trop prodigué d'élogen au corps de
la comtesse de Chateaubriand par toutes ces réflexions philoso-
phiques, c'est-à-dire empruntées à la science, et ici à la pliysique.
6-1. Te promectant, si ta muse rencontre.
Que tu auras laurier a ceste fois.
L'Honneur dit à Sagon que, « s'il est bien inspiré dans l'éloge
des qualités intellectuelles et morales de la comtesse de Chateau-
briand, il en sera récompensé par la couronne de laurier, » la plus
grande des distinctions accordées à un poète. Ainsi Marot, dans son
Epitre : A ceux qui après VEpigramme du beau Telin, en f cirent
d'autres, dit presque dans les mêmes termes :
Mais du sourcil la beauté bien chantée
A tellement nostre Court contentée,
Qu'a son autheur nostre Princesse donne.
Pour ceste fois de laurier la couronne.
OEuvnES DE Marot, èdit. de 1596, p. l'J*.
16 NOTES.
62. Ecoutez donc dames en p?iuaulce.
Comme on dit pinvalivement, dans le sens d'exclusivement, préfé-
rahlement. L'étymologie serait « le latin fictif, privalitatem, de pri-
valis, dérivé de privus. » M. Littré, Dictionnaire de la Langue:
FRANÇAISE.
63. Ce sont les natiirelz, sans Pline,
Qui tiennent ceste discipline.
Les Nalurelz sont ceux que Brantôme appelait les Philosophes
naturels (Vie des Dames galaîntes, Discours I), c'est-à-dire les
hommes qui ont étudié et qui connaissent la nature. On les appelait
autrefois Naluriens et plus tard Naluralistes. Le passage signifierait
alors que : « ceux qui ont étudié la nature, même en dehors de Pline,
sans le compter ou sans recourir à son autorité, sont partisans de
la doctrine exposée dans les explications de Sagon. » La catop-
trique, la science des miroirs ou de la vision réfléchie, a été connue
des Anciens. Euclide en a laissé deux livres. Est-ce de lui ou bien de
ses successeurs que Sagon veut parler ?
'•4. Le niiroer de macule espris.
Ou de tache, ou de crassitude.
Ce dernier mol est traduit de Pline, chez lequel crassitude, en
parlant des miroirs de métal, indique « une diminution de l'épais-
seur par un fréquent polissage , d'oîi résulte la concavité qui
agrandit l'image. » — « Eadem vi in speculis usu polita crassiludine,
paulumque propulsa dilatatur in immensum magnitudo imaginum. »
Histoire naturelle, liv. XXXIII, ch. 45.
Le manuscrit porte :
Qu'il n'entend s'il baille ou s'il reçoit.
Le second s'il a été supprimé pour rétablir le vers de huit syl-
labes.
NOTES. 1 /
<J(5. Il i'enyure de sa Caueriie.
Variante de l'ancien proverbe : S'enivrer de sov citi, qu'on ex-
l>iiiiU3 ainsi : « Oa dit proverbialement qu'un homme s'enivre de son
vin, tant au propre, quand ^il boit tout seul et avec excès; qu'au
figuré, quand il a trop bonne opinion de lui-même. » Dictio\>.viri:
»€ Trévoux, verbo, Enivrer.
61, lugeant ung droicl lors ou traticrs
Comme en l'eau ung baston teucrs-,
Qui n'est toQslefoys que la faillie
De l'oeil piiae de raison haulte.
Sagon inite ici un passage où TertuUien, reprochant aux Aca-lé-
miciensdc condamner, avec trop dt;. rigueur, le témoignage dos ^cus,
>i dit: « Mer.dacium visui objicilur, quod remos in aqua inilexos aut
iiifraclos adseveret adver.-us con?cientiam integrltatis. » L'énergie
ot la beauté rie ces derniers mots de l'auteur latin ont été à peinr^
senties, loin d'avoir été rendues par l'imitateur français.
68. Rend l'ojjgecl fauli ou apparent.
'•'esl-à-dire tel qu'il rst en réalité, suivant le vrai sens du liitiii op-
ppverc. — Dans toutes ces explications du Miroir, Sagon dit des
miroirs de verre à peu près ce que Pline a dit des miroirs de métal.
Voir Histoire nnliirelle, liv. XXXIII, cli. 45, collection Xisard.
ri9. On le fait par novalite.
Sovaliié veut dire Nûuveaulé.O'a trouve hahituellemenl.dans l'an-
cien français : Novailé, Noval'é, qui viennent de Nuvilos. — Si les
miroirs de cette espèce étaient d'invention récente, les Anciens ar-
rivaient au même résultat à l'aide de coupes taillées en fiiceltes
ionime autant de miroirs. Pline le dit formellement : « Quin etinm
[locuia ila figurantur, exculplis intus crebris ceu speculis, ut, vel
uno intuente, populus Ictidom imaginum Qat. » Histoire r.plurcJle. liv.
XXXIII. cliap. '.X
18 NOTE'.^.
70. L'antiquité les a connus
!U offertz au tempie a Fénus.
C'est d'apn.'r; Pline encore que Sagon parle de ces miroir?,
Ou l'on veoit des choses terribles,
« Excogitanlur et monstrifica, ut in templo Smyrnae dicata. » Ihhl,
^lais V(jnus avait-elle un temple à Smyrrio ?
71. (Si ce n'est {iciion on banc .
liavc, paroles imdiks. «Je mot se retrouve bien souvent, en ce sent,
dans les poésies de Marot. Par exemple, dans [ Espilre qu'il fienlil
il la londçmnade conlre lés couleurs d'vnc ilnmoi/srlle, on lii :
Si on ne m'cust troublé de taiil de bave.
Vous eussiez en une Kpisfre fori lir.Tve, etc.
72. On peultjaire vu miroei concaiu-, etc.
Tout ce qui suit rappelle ce passage de Pline parlant des miiuirs
■ le métal : « Plurimum rel'ert concaua sint et poculi modo, an parma-
Threcidicee, inedia depressa an elata, transversa an obliqua, supina
ni recta, qv.a!iiate excipientis figurœ torquento venientes umuras. >■
Pline, ibifl.
73. ■ otnuie ic scay par l:i leçon
Des naturels.
Les ri-,ii";iis qui ont traité des sciences naturelles et Sj'écialcmenl
de la IMysiipîe. — Voir plus haut, note G3.
74. Honnenr, ce propos trop haultain, etc.
i'"est-à-diro >• traitant de sujets trop élevés. »
75. Kt icu nouueaii de deuil rnallinnc.
L'emploi de ce mot mettait Sagon à l'abri d'une remarque l'aitc
par l'un de ses adversaires, dans sa guerre contre Marot. La'Huete-
ric, ou Sagon s'était servi du mot accense [acccndcre], au lieu û'dfv-
NOTES . 1 9
Dte, . Ciiarles Foiilaine, se faisant le second de Fripelippes, valet de
Marot, dans une Epistre à Surjon et à La IJuelerie, uial ativibvéc par
'i-di.vunt à Marot, le lui reprocha en ces termes :
L'un va rithinant la fere contre affaire.,
Et l'autre aussi frère contre desplaire :
L'autre par trop les oreilles in'olTeiise,
Quand pour allume a voulu dire, accense.
OEiVRKS Bîî Makot, édit. de. Niort, 'i59»ï, p. U46.
76. Miroer antique et souucraiii
D'est ai n entremeslé d'arain.
Chez les anciens Romains, les meilleurs miroirs en métal so fai-
ir^aient à Brindes par !e mélange de ces deux matières, comme Pline
!iûus l'apprend. « Optima (spécula) apud majores fueranl Brundi-
sina, stanno et aero mixtis. » HistouïE naturelle, ibid.
77. Miroer de matière argentée
De façon noituellc inuentee.
Celte raaliirc argenlie est le tain, qui se fait en mellanl sur uul'
j;laco, placée horizontalement, une feuille d'élain qu'on recouvre de
mineure. L'amalgame a la propriété d'adhérer au verre.
Voici ce que nous lisons sur ces miroirs : De façon nomicik iii-
mntce.
« Suivant Lazari iNulizia délie opère d'arie e d'aniiclidù n'eda rac-
rnlla carrer. Ycnezia, 1859), ce ne fut qu'au quatorzième siècle que
le? Vénitiens eurent l'idée de remplacer les miroirs de métal poli
par des miroirs de verre, au revers desquels ils plaçaient une fouille
niélallique. Vincenzo Reder fut l'auteur de celte innovation ; mais
soit que la routine la repoussât soit que le résultat obtenu n'eût pas
imiiiédiatement atteint le but qu'on espérait, on l'abandonna, et les
w.iroirs e:i métal redevinrent à la mode jusqu'au moment où deux
Muranéziens, Andréa et Domcnico d'.\nzolo dal Galio, qui connais-
saient ou qui peut-être avaient découvert, de leur côté, ;e mode do
•20
NOTE'S.
litivail uaiployé en Allem.igne el en Flandre adressèreni (lôOJl au
Conseil des Dix une supplique dans laquelle ils lui exposaient « que,
•■ possédant le secret de faire de bons et parfaits miroirs de verre
« cristallin, chose précieuse et singulière, et inconnue du monde
« entier, si l'on excepte une verrerie d'Allemagne qui, associée à
'<■ une maison flamande, exerçait le monopole de cette fabrication
" et écoulait ses produits, du levant au couchant, à des prix excès -
« sifs, et désirant mettre Murano à même d'établir une concurrence
« qui ne pouvait qu'être profitable à la République, ils demandaient
« qu'on voulût bien leur donner un privilège exclusif dans tout le
« territoire de la République pendant vingt-cinq an-. » Biblio-
thèque DES Merveilles. La Verrerie depuis les temps 1rs plus "h-
i: en s jusqu'à nos jours, par A. Sauzay, 1876, pages 80-81.
C'est à ces faits oe 1503 que le passage du poème de Sagon. écrit
.14 ou 35 ans plus tard, paraît faire allusion.
78. Que le miroer que feit Praxiteles
Graueur expert au temps du grand Pompée.
Pline, après avoir dit que «les miroirs d'argent furent préférés
aux miroirs d'étain et d'airain mélangés, .i ajoute le passage d'où
Sagon a tiré ses deux vers : « Primus fecit (argentea spécula) Pasi-
lelesMagni i'ompeii aetate. » Ibid. Deux manuscrits donnent Pasile-
/.■5, adopté par l'éditeur, M. Littré, au lieu de Praxiieles, qu'on lit
habituellement et qui désignerait plutôt le fameux sculpteur grec de
ce nom.
79. Miroer a/dent que Sydon inuenta.
Sagon tiaduit encore ici Pline, qui a parlé de l'invention des mi-
roirs à Sidon, mais non des miroirs ardents ; car il dit : « Et aliud
vvitrum) ilatu figuralur, aiiud torno teritur, aliud argenli modo cse-
latur, Sidone quondam ils officiais nohili : siquidem etiam spécula
l'xcogitaverat. » Ibid., liv. XXXVI, ch. 65. Ailleurs il l'appelle :
« Sidon (trlifcx vi'ri. >■ Ibid., liv. v, ch. 17.
NOTES. 21
80. Mircer damour tant chaste et bien reigté
Qu'vng seul amant ne s'y est aneuglé.
C'est par un excès do candeur cl de bonne foi cjne Sagon croit à la
vertu de la dame de Chateaubriand et l'affirme aussi positivement;
mais il est en contradiction formelle avec les témoignages les moins
suspects.
81, le vous reqaier contre mort faire vn lay.
Nos vieux Komanciers font de même ciianter des Lais à leurs
héros.
82. Mortelle poison
k France contrainte
D'en faire oraison.
Le poison, la violence de la n:ort a contraint la France de prier
pour elle.
Poison était alors du féminin, comme plusieurs .autres mots, dont
le genre a changé depuis. Le peuple le fait encore aujourd'hui du
l'éniinin,et Ménage, dans la Requête des Dictionnaires, imprimée en
1649, assure que les puristes seuls lui donnaient >-p genre, nu
XVII' siècle.
Ils veulent, malgré )a raison,
Qa'on dise anjoard'hni la poison.
Une cpitaphe, une épigramme.
Une navire, une anagramme.
Une reproche, une dnché,
Une mensonge, nne ^esché.
83. Change du lieo on conuersent les Ntusps.
Du latin convcrsari, habiter, faire sadernruie.
S4. Continaez voz plears, voz plainctz, voz rioyses,
Plainctz, planctus, gémissement. — L'emploi simultané des s et des
s dans ces noms montre les deux systèmes d'orthographe usités pour
la formation ilu pluriel des noms et des adjectifs. Dans l'ancienne
dominait le z , dans la nouvelle, 1*5 était préféré. La grammaire
22, NOTES.
(le ce poème indique bien un âge de trausilion, comme le procédé
trén'jrai de sa coinjioàilion.
85. Dames de Court, da/iioyselles, bourgeoises.
Sur le passage d'un Fabliau de Rutebeuf : De la femme qui fil trois
jais le tour des murs de l'Eglise, Le Grand d'Anssy met cette note,
pour expliquer ces mots : « U7ie Demoiselle qui était la femme d'un
l'i-uyer. — Cette femme, quoique mariée, est appelée DexioiseUe,
parceque son mari n'est qu'Eouyer. On no donnait dans la rigueur le
titre de Dame qu'aux épouses des Souverains, des très-grands Sei-
gneurs et des Chevaliers. Brantôme, qui écrivait trois siècles plus
tard, appelle encore son aïeule la Sénéchale de Poitou, Mademoiselle
de Bourde ille. » Fabliaux el Gonles du XII' et du XIII' siècle. Edition
de M.DCC.L.XXXl,t. II. p. 265.
86. Monsieur de Lautrec et sa sœur.
Pour le présent de Laval dame.
» t'oix, (Odet de) Seigneur de Lautrec, Chjvalier de l'ordre de
Saint-Michel, maréchal de France, gouverneur de Guyenne, et lieu-
tenant pour le roi en Italie..., épousa Charlotte d'Albert, troisième
fille de Jean^ seigneur d'Orval, dont il eut Gaston, François, Henri,
morts jeunes ; et Claude de Foix, mariée à Gui XYI du nom, Comte de
Laval. » DicTio\:yAiRE de Moreri. — Ce Monsieur de Lautrec semble
être Henri de Foix. Sa sœur était :
Pour le présent de Laval dame.
C'est-à-diro vers i537 ou 1538, date probable de la composition des
Ri'grets, parcequ'en 1535 le comte de Chateaubriand, son oncle par
alliance et tuteur, l'avait mariée au Jeune comte de Laval.
87. Ce ma! de maint ciieai aggresseur
f^ous touche il point? Oui: J'en sviis seur.
A cette époque, eu sonnait «. « Tout ce qui parle bien en France,
dit Théodore de Bèze, prononce hûreux. » De Francicœ linguœ recto
NOTES. 23
pronuutialione ]>. r.o. I! en ost encore ainsi, poui" ce dernier mol,
mais à la campage. Voltaire, usant de cette ]irononcialion archaïqup,
disait encore auXVIII" siècle :
Près des Ijurds «Je l'Itoii et des rives de X^Eiiie
Kst nn rliamp fortuné, l'ainour de la nature.
[Henriade, chant VIFI.)
Dans le cnanl IX, Eure rimera avec structure.
Fous touche il point?
On prononçait le t qui ne s'écrivait pas, snivanl l'usage constant
des écrivains antérieurs au XVII* siècle. ■< Qui se lierait au témoignage
de cette écriture s'abuserait l'on, car on ne manquait pas de pronon-
cer avec un t intermédiaire, comme aujourd'hui nous écrivons. —
« Souvent aussi, dit Jacques Pelletier, nous prononçons des lettres.
• qui ne s'écrivent pas, comme quand nous disons âîne-li ? ira~U ?
« lit écrivions dine-il? ira-il? ce serait chose ridicule si nous i'écri-
« vions selon qu'ils se prononcent. » {{"' livre d'i l'Orthographe, p, 67).
Cité par M. Génin, Des Va}uaïio>s du i. iNGAOi; fraivçais olc.
p. io7.
.88. Edt iadis de vous deux l'atlueu
D'amour, de iticpce et de nepueu.
Monsieur de Lautrec et ia dame de Laval étaient les enlanls
d'Odet de Foix, lYère aîné do la comtesse de Cliateaubriand. — Voir la
note 80.
89. Qtitlle a instruiciz far longue etpace.
Le maréchal de Lautrec, père de Henri de Foi:c ei. de Claude de Foi.\,
étant mort au camp sous Naples, le 15 août l j'iS, de la maladie
contagieuse qui décima sou armée (Moréri), « le comte (de Chaleau-
Ijfiand) devint un des cinq tuteurs des enfants de Lautrec, par le
testament que celui-ci lit à Lyon, en io'27, avant de ;;artlr pour
1 Italie. » Bibliophile Jacob (M. Paul Lacroix), CûniosiTÉs de
a^ NOTES.
f/HisTOiRK DE Fi'.ANCK, 2* séi'ie, Procés célèbres. Delahays, 1868,
]i. U'o. La comtesse de Cliateaubriand se fit un devoir d'instruire son
neveu et sa nièce mineurs, de 1528 à 1535, pendant la tutelle de son
mari, qui prit fin, pour Claude de Foix, par son mariage avec le
comte de Lava!. Voir note Sfi.
9<i. Ton père mort, de ses biens ta rente (rente)
Tant scullement par fauUc de ton aage.
Celv.i des enfants de Laulrec, que nous croyons être Henri, élail
trop jeune, à la mort de son père (i528), pour avoir pu être élevé,
instruit par lui. Il ne lui avait laissé que ses biens, et sa tante, la
comtesse de Chateaubriand, avait pourvu a son éducation, en l'en-
riciiissant de vertus.
'.U. As tu laisse a ceste mon ta tante ....
Loyalle espouse au seigneur de Laval?
Je croy que non et que n'estois distante
C'est une façon d'affirmer que la jeune comtesse de Laval était au
chevet de sa tante, la comtesse de Chateaubriand, quand elle mourut,
le IC octobre 1537, Sans cela le rappel d'un devoir serait un reproche,
uii tout au moins une indiscrétion.
Di. Je y oy s faire conclusion,
Auh-elois Sagon disait coiicJucr. La l'orme nouvelle employée pour
exprimer cette idée montre qu'il avait été sensible aux reproches
du valet Fripelipes, ou plutôt de Marot lui-même, contenus dans les
vers de sa fameuse Ejntrc à Sagon.
Et saches qu'entre tant de cho.ses
Sottement en tes dits encloses,
Le villain mot de conctuer
M'a iaict d'ahan le front suer.
yj. Ceste dame est morte nuant aage.
Dreux du Radier a dit : « Mademoiselle de Foix naquit vers l'an
i4'.)5. » Mémoires historiques, eriliques et anecdoles de France. Ams-
NOTES. 25
lerdani, m ucc.lxv, l. III, p. I46. Elle avait donc 42 ans environ à
sa mort, 16 octobre 1537 ; ce qui justifie l'expression : axiant âge.
94. Le sien départ
Que mort, ou len ne remédie
Lux hasta d'une maladie.
Ce seul vers d'un contemporain est la condamnation des bruits
calomnieux qui ont abouti à la moins fondée de toutes les légendes
sur la mort de la dame de Chateaubriand, dont Varillas s'est fait,
sinon l'iuventeur, du moins le trop crédule propagateur. — Voir In-
troduction, p. 56.
95. Qa'ou la veist en nobleise auoir
Toute la science en la teste.
L'art héraldique, science à laquelle on attachait alors une grande
importance.
9(î. Vne Katherine de Seine.
Pour Siene, en italien Siena. La fameuse sainte du xiv» siècle, qui
a pris le nom de sa ville natale. Pietro Aretino (l'Arétin) composait,
vers cette époque, la Vie de sainte Catherine de Sienne, et Jean
Bouchet l'avait comprise dans le Icgement poetic de l'honneuk
FEMININ.
97 C'estoit une Cornélia
Ou vne docte Loclia.
Cornelia, la mère das Gracques, leur donna la plus brillante édu-
cation et se renriit célèbre par sa vertu. — Lœlia, fille de Lelius, hé-
rita de l'éloquence de son père. Cicéron en parle dans son dialogue
l(? Pruius.
98. l'entendz en /rançons tant humain.
Dès le xiii' siècle, les étrangers faisaient l'éloge de notre vieux
français avec une préférence marquée pour notre langue. Voici les
4
26
NOTES.
raisons qu'en donne l'Italien Brunetto Latini : » Et s'auscuns de-
mande porquoi chis livre s'est escris en romans selonc le patois de
France, pui&que nos somes Ytaliens, je diroe que c'est por II raisons :
l'une est por ce que noz somes en France ; l'autre si est por ce que
français est plus delitables et plus communs que moult d'autres. »
(Préface du Thrésor.) — "Voir l'éloge de notre langue, quand l'Ita-
lien menaçait de l'envahir, dans la Precellence du langage francois,
par Henri Estienne (1579),
99. Encor Je faulx
Du latin fallor,je me trompe, je suis dans l'erreur.
100. Vng moyen langage latin
A l'italien de Lacrtin.
Françoise de Foix aurait joint une teinture tlu latin à la connais-
sance de l'italien.
Laerlin doit être Laretin OMlArétin, fort à la mode du temps de
François I, qui le protégea lui et Rabelais. Dans le Rabais du caquet
de Fripelippes, etc., faict par Mathieu de Boutigny, qui n'est aulr^
que Sagon, on lit ce nom écrit encore de cette manière :
Hnet monte en ton anertin,
Macé, en ensuyaant Lertin
Desploy icy de ta science.
1(M. Et pour vng tiers et beau langage
Parlait espagnol dauantage .
Brantôme dit que de son temps, un peu plus tard, « coustumiere-
ment la pluspart des François aujourd'huy, au moins, ceux qui ont
veu un peu scavent parler ou entendent ce langage. » (L'italien ou
l'espagnol.) — Vies des Dames galantes. Discours II, p. 136,
édit. Garnier.
102. De ces troys
La dame auoit mainte deuite.
NOTES. ^i
C'était la mode d'en faire et d'en avoir. Voir Pièces juiiificatives
de l'Introduction, III, le rôle que les devises ont joué dans la rupture
de François I et de la comtesse de Chateaubriand, pages 9:i-97.
103. Son dénis
Auquel trotiuay auec fortune,
En son viauut heure opportune.
Ces vers prouvent bien que Sagon vécut dans l'intimité de celle
que célèbrent ses vers.
104.— « Il eut tant de bonheur (avec fortune) dans sa conversation,
(son devis) qu'il entendit
Par plusieurs toys
La dame Francoyse de Foix
Parler de plus haulte pratique
Que Sapho en l'art poétique.
Nous pensons que ces vers signifient que cette dame pouvait par-
ler de poésie avec plus d'élévation que n'auraient pu le faire les
femmes-poètes de l'antiquité, dont les noms vont suivre. L'éloge se-
rait trop exagéré, si Sagon mettait les vers de la comtesse de Cha-
teaubriand au dessus de ceux de Sapho, de Myia et de Télésille.
■ 105. Ou que la Mousche, qu'on descrit
Avoir eu si gentil esprit.
Qu'entre poètes est nonibrée.
Sous celte vieille forme Mousche du mot français Mouche, traduc-
tion littérale du latin Musca, se cache ici une Grecque nommée
Mvia (Mouche), dont le nom serait mieux francisé par celui de Myia,
qu'on rencontre ordinairement. Sagon l'a déterrée chez Lucien, qui a
dit d'elle ; « Il y eut autrefois une femme du nom de Mouche; elle
excellait dans la poésie et fut tout à fait belle et sage. » Eloge de la
Mouche.
106. Ou Thelesille célébrée
D'antique rcthoricien.
28 NOTES.
Télésille, femme illustre et poétesse d'Argos, célèbre par son cou-
rage et par son génie, vi* siècle avant Jésus-Christ. On a des frag-
ments de ses poésies. — Cet antique rhétoricien est Pausanias, géo-
graphe-historien grec, deuxième siècle après Jésus-Christ. Il dit, en
effet, que les Argiens, quelque temps après avoir été témoins de la
bravoure de Télésilla, lui élevèrent, à Argos, une statue dans le
temple de Vénus. Elle y était représentée ayant plusieurs volumes de
poésie à ses pieds et tenant dans ses mains un casque qu'elle parais-
sait vouloir mettre sur sa tète. Description de la Grèce, liv. II, ch. "20.
107. Ou que la sage Catsandra. . .,
Au temple de Lacedemone.
Cassandre, fille de Priam et d'Hécube. C'est encore Pausanias qui
jiarle de sa statue dans le temple de Lacédémone. /6td., 1, lis et lll, «9.
108. Bref ie craingz A'estranger raison
Par trop longue comparaison.
Faire que la raison s'en aille, la chasser, la bannir. » Comparaison
n'est pas raison, » dit l'adage populaire. Au xviii" siècle, « ce mot
[eslranger) est vieux et peu usité ; il n'y a plus que le petit peuple
qui s'en serve. ^> Dictionnaire de Trévoux.
109. Le verre indigne ensnyt cristal tant digne
Parquoy ce corps, soubz cœlestes accords, etc.
Exemple de vers léonins, quand la fin du premier hémistiche rime
avec celle du second.
110. Fatales frangens forti fragore fauillas.
Telle est la leçon du Manuscrit; mais levers est faux, la premièrt?
syllabe de fragore étant brève. L'auteur avait peut-être mis fitlgore,
mal lu par le copiste.
NOTES. "2^
lil. Fert roniein l'eretro lœmina lausta yia«i.
Voilà un vers d'autant moins intelligible pour nous qu'aucun des
mots latins correspondant à faui ifavi) n'a la quantité voulue pour
laire un vers correct. Peut-être Sagon avait-il mis /'«ci, datif de fax^
fiieis (Foix), qui aurait la quantité voulue pour faire le vers. On a vu
déjà l'adjectif fuxea, Appendice IV de V Introduction, Le sens serait :
1 La femme favorable à Foix (le bon génie de Foix ?) verse un torrent
sur le bûcher. »
Cette pièce, aussi défectueuse que peu claire, est toute en vem
lettrisés ou (autogrammes, c'est-â-dire composée de mots commençant
tous par la même lettre.
113. Kliim qtiein celebrenl alfica scripta i-iriim.
Arrivé à Troie, Alexandre mit une couronne sur le tombeau
d'Achille, et « le félicita d'avoir eu, pendant sa vie, un ami fidèle
(Patroele), et après sa mort, un chantre sublime de ses exploits. >.
;Homère). Plutarque, Vie d'Alexandre, ch. XV.
112. — Exasticlion, plus ordinairement Hexastichon, pièce de six
vers.
Per Hugerium est le nom d'un ami de Sagon qui revient deux fois
dans les petites pièces du <• différent. » Une première fois, on lit:
Joannis Huguerii Hexastichon in Fripelippum ; et une seconde fois, uue
réponse à un second valet de Marot, appelé Richer, qui avait attaqué
Sagon. Œuvres de Marot, édit. de Lenglet Du Fresnoy, 1731. t. IV-,
p. 416, 471 et 472;.
Ce nom latin Huguerius nous paraît traduire De la Hugverye ou
Huguerie. Ce Jean de la Huguerye devait être de la famille de Michel
de la Huguerye, de Chartres, dont la Société de l'Histoibe df
France est en train de publier les Mémoires.
\H. Vela de quoy.
Le long titre du Coup d'Essay de François Sagon se terminait par
ces mêmes mots, dont voici l'explication: « Sa devise était Vela de
30 NOTES.
qtioy; peut-être parce qu'il croyait que ses écrits contre Marot étaient
(U quoy mortifier ce poète, et lui ôter même sa réputation. » L'abbé
(iouiei, Bibliothèque françoise, édit. in-12, 1747, c. XI, p. 98.
Après un Dixain qui termine le Coup d'Essay, on lit encore :
VKLA de QIOY,
Aliquid ne nihil.
M. de Lescure dit que la même devise française se trouvait gravéa
sur l'éeritoire de Sagon. Les Amours de François l . p. 202.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
AVERTISSEMENT i
INTRODUCTION :
I. Biographie de Sagon I
II. Le Poème funèbre de Sagon 3»
III. Bibliographie des Œuvres de Sagon 76
Appendices et Pièces justificatives de l'Introduction 91
LE REGRET D'HONNEUR FÉMININ (texte) , l
NOTES SUR LE TEXTE DU POÈME i
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